Culture et gestes, le défi du décodage

Expressions

Est-ce un lieu commun que d’avancer que les francophones s’expriment davantage avec leurs gestes que les anglophones? Pour Craig Holzschuh, directeur général et artistique du Théâtre La Seizième de Vancouver, un diplômé de l’Université d’Ottawa et de Colombie-Britannique, qui œuvre dans le milieu théâtral comme metteur en scène, auteur, comédien et concepteur depuis 17 ans et qui a travaillé dans les deux langues, il y a bel et bien une différence.

« Aussitôt que l’on a un groupe anglophone, et qu’un francophone est présent et qu’il commence à parler avec ses mains, c’est certain qu’on voit une différence, mais j’ai beaucoup d’amis anglophones ici qui sont très “physiques” également. Cependant, il est vrai que les acteurs francophones vont travailler beaucoup plus avec leur corps dès le début de la préparation d’un rôle, alors qu’un acteur anglophone va beaucoup plus se poser de questions sur les besoins du personnage, et l’analyser. Les deux arrivent plus ou moins au même point mais leur cheminement est un petit peu différent. »

D’une certaine manière, la perception de la notion d’espace personnel des uns, diffère par rapport à celle des autres. Par exemple, si on se rapproche légèrement de son interlocuteur, et que celui-ci prend alors un peu plus ses distances, cela signifie, soit qu’il ne souhaite pas que l’interaction devienne plus personnelle qu’elle ne l’est déjà, soit que votre notion d’espace personnelle acquise à travers votre culture d’origine, est assurément différente de celle de votre interlocuteur ! Pour preuve, la théorie du professeur Albert Mehrabian, selon laquelle 93% de notre communication est non-verbale.

Même si cette théorie ne fait pas l’unanimité, de nombreux experts du langage du corps sont d’accord pour dire qu’entre 50 et 80% de nos interactions avec autrui, sont non-verbales. Si la communication non-verbale d’une personne nous interpelle parfois, d’une façon agréable ou non, c’est parce qu’elle est le vecteur d’une personnalité qui s’exprime autant par le ton de la voix, la posture, la gestuelle des mains, que par les mouvements des yeux ou de la bouche. Même chez des personnes qui ont une gestuelle très sobre, les expressions du visage révèlent certaines de leurs pensées, pour qui sait les décrypter.

Conditionnement social

Déjà en 1872, Charles Darwin évoquait la pertinence gestuelle dans son livre l’expression des émotions chez l’homme et les animaux. Car c’est en effet en partant de l’éthologie, l’étude du comportement des espèces animales, qu’à partir du début du 20ème siècle, le sujet du langage non-verbal s’est vu appliqué à l’analyse du comportement humain. Il semblerait que le langage du corps soit un mélange d’une part, d’informations qui nous ont été transmises génétiquement, comme c’est le cas par exemple, des expressions du visage, et d’autre part, d’informations provenant de notre conditionnement social, et que nous avons appris au sein de notre environnement socio-culturel.

Craig Holzschuh résume très bien ce qu’il attend d’un entretien professionnel lorsqu’il doit recruter pour un poste permanent au sein de son équipe : « on regarde que ce soit quelqu’un qui a une certaine ouverture, avec qui on a envie de travailler. On voit parfois des gens fermés sur les autres, ce qui ne peut convenir dans notre activité. » C’est exactement ce que convoie principalement la gestuelle : un état d’esprit ouvert, communicatif et plaisant, ou au contraire une personne sur la défensive, qui vous met d’emblée mal à l’aise par son enfermement sur elle-même.

Les expressions du visage

Dans les années 60, Paul Ekman, un psychiatre californien, expert des expressions faciales, a contribué à mettre au point un outil de reconnaissance de nos micro-expressions et de leur signification, notamment pour aider à la détection du mensonge.

La PNL (programmation neuro-linguistique), développée également dans les années 60, décrypte ce que signifie la direction que prend le regard d’une personne pendant qu’elle parle. Par exemple, quand le regard s’en va à droite, pendant qu’une personne parle, elle fait appel à son imagination et à sa créativité, alors que si son regard se tourne vers sa gauche, elle fait plutôt appel à sa mémoire. La bouche est également un vecteur de communication, notamment par le sourire.

On distingue deux formes de sourire, celui qui est faux et n’est qu’un sourire de politesse, qui ne consiste qu’à bouger les muscles zygomatiques, et le vrai, qui est plus sincère, et qui met en jeu également les joues, le front, le nez, la mâchoire et surtout, les yeux, qui forment les fameuses “pattes d’oie”. Ces dernières renseignent de façon quasi certaine sur l’authenticité du sourire dans la mesure où il est très difficile de les faire bouger “sur commande” !

C’est sans doute dans l’idée de rapprocher autour d’une même pièce, les spectateurs issus de cultures différentes, que Le Théâtre La Seizième proposera, à partir du 31 janvier 2012, la pièce Traces en français, avec des sous-titres en anglais !

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