“Une Séparation” :
Une bouffée d’oxygène pour le cinéma iranien ?

Peyman Moadi joue Nader et Leila Hatami joue Simin dans Une Séparation

Peyman Moadi joue Nader et Leila Hatami joue Simin dans Une Séparation - Photo par Sony Classics

 

Le 27 février dernier, le film iranien Une Séparation, du réalisateur Asghar Farhadi, a créé l’exploit en remportant l’Oscar du meilleur film étranger. Doit-on pour autant s’en frotter les mains et conclure la victoire de la culture sur la politique ? Rien n’est moins sûr. Car dans un pays où personne n’est totalement libre de ses mouvements, réaliser un film reste encore une chose bien difficile à faire.

Une fracture politique sur fond de drame familial

Le film d’Asghar Farhadi est doté d’une double intelligence. Intelligence cinématographique tout d’abord, car il offre un double niveau d’interprétation au public.

En effet, l’histoire commence par une séparation sentimentale. Nader (joué par Peyman Moadi) et Simin (jouée par Leila Hatami), s’engagent violemment dans une procédure de divorce. Cela constitue un premier niveau de lecture pour le spectateur qui se retrouve confronté à un drame familial.

Mais très vite, l’histoire devient plus compliquée. Nader se voit obligé d’engager une aide-soignante, issue des clas-ses populaires, pour surveiller son père atteint de la maladie d’Alzheimer. Cette femme, Hodjat, est rapidement confrontée à un dilemme.

Le grand-père est victime d’incontinence. Elle doit le changer, le laver, lui ôter son pantalon, ce qui, au regard de ses convictions religieuses et des usages locaux, constitue un péché.

Or Hodjat commet une faute en laissant le grand-père un instant sans surveillance. Licenciée, elle revient vers son employeur pour être payée. Nader, prétextant qu’elle a manqué à ses devoirs, refuse de la dédommager et la repousse sur le palier.

Elle tombe dans l’escalier, et prétend que Nader l’aurait violentée et aurait provoqué une fausse couche.

C’est là qu’apparaît un récit plus politique, dévoilant une déchirure, qui touche de plus en plus la société iranienne. D’un côté, les classes moyennes aspirent aux mêmes droits que toutes les classes moyennes du monde, de l’autre les classes populaires  se tournent vers un fondamentalisme religieux par désespoir.

Le cinéma iranien asphyxié par la censure

Mais ce double niveau de lecture révèle également une intelligence stratégique. Car c’est précisément cette façade de petit drame psychologique et familial qui a permis au film d’exister, et de contourner la censure iranienne, de plus en plus pesante sur les cinéastes.

Rappelons, à ce titre, que le film a failli ne jamais voir le jour. En effet, le tournage a été interrompu pendant une dizaine de jours durant l’automne 2010, par les autorités qui reprochaient à Asghar Farhadi ses interventions publiques en faveur de cinéastes emprisonnés pour leur hostilité, réelle ou supposée, au régime islamique.

Le réalisateur a dû présenter des excuses officielles pour que le tournage puisse continuer. Au départ, le film n’a pas été très soutenu par les autorités iraniennes.

Il aura fallu attendre qu’il connaisse un immense succès en Iran, en raflant notamment cinq récompenses au festival Fajr de Téhéran en 2012, et commence à rafler ses premières récompenses internationales, pour que les autorités iraniennes le soutiennent plus fermement.

Asghar Farhadi

Asghar Farhadi - Photo par Manfred Werner

La situation est de plus en plus critique pour les cinéastes iraniens, et surtout pour ceux qui font partie de la nouvelle vague, comme Asghar Farhadi.

Le cinéaste Jafar Panahi a d’ailleurs fait les frais de cette sévérité, et a été condamné à 6 ans de prison et 20 ans d’interdiction de tournage, pour avoir préparé un documentaire sur les manifestations populaires ayant suivi la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad en 2009.

Téhéran a porté le coup final en janvier 2012 en supprimant la Maison du Cinéma, principal syndicat des professionnels de cinéma, qui était intervenue à plusieurs reprises pour défendre publiquement des cinéastes poursuivis par le régime.

La situation reste donc des plus difficiles pour les cinéastes iraniens. On peut se demander si l’Oscar et tout le reste, en plaçant le cinéma iranien sous les projecteurs, pourra contribuer à leur faciliter la tâche.