La mode au carrefour des traditions

A la veille de la semaine alternative de la mode qui débute le 23 novembre, Vancouver confirme, si besoin en était, son statut de ville proche des tendances et des nouveautés. Alors bien loin de Lululemon et ses vêtements de yoga, voici une génération de créatrices qui mêlent ainsi la mode traditionnelle avec la diversité de leurs origines. Rencontre avec trois femmes qui bousculent les carcans de la mode pour conjuguer tradition et design.

Loin des clichés

Dorothy Grant a installé ses premières collections au Centre Sinclair de Vancouver en 1994. Aujourd’hui, ses créations se vendent principalement sur son magasin en ligne, et on se rend compte du chemin parcouru. Originaire d’Alaska et plus précisément du clan Haïda kaïgani elle explique que l’idée de retranscrire l’art natif dans la mode est née en 1983, « en voyant les autres créateurs non-autochtones qui incorporaient cet art dans leurs modèles de vêtements. Le résultat était pauvre et ne rendait pas honneur à l’art autochtone si beau et si particulier ». Elle décide donc de se lancer elle-même et d’enrichir ses compétences artistiques à la prestigieuse école de design Helen Lefeau, de Vancouver. Une institution qui a d’ailleurs accueillie une autre créatrice vancouvéroise, Emi Yeto qui habillait Madonna de ses designs ethniques voilà une dizaine d’année.

Puisant dans les anciennes histoires et les mythes du peuple Haida, Dorothy Grant quant à elle, rassemble les contes et les formes des légendes racontées puis dessinées « depuis plus de 10 000 ans » par son clan pour l’associer aux tissus d’aujourd’hui et transmettre sa culture dans un mélange de tradition et de modèles innovants.

Les cultures par le voyage

De son côté Shereen de Rousseau conçoit des bijoux inspirés des quatre coins du monde. Née au Canada, elle a grandi au Brésil et conservé cette culture dans ses créations. « J’ai passé plus de vingt ans dans l’industrie de la mode. Et puis je me suis rendu compte que ce mode de vie n’était pas compatible avec un enfant en bas âge. » Elle commence à fabriquer des bijoux en s’inspirant des continents et des modes qu’elle avait découvert durant ses voyages. C’était un simple passe-temps au départ. « Je les offrais à mes amis et les portais moi-même, quelques boutiques les ont remarqué et m’ont alors demandé de les commercialiser. »

Elle voit cela aujourd’hui comme une autre manière d’exprimer cette richesse faite de différentes nations. « Le voyage et la multiplication des cultures que m’ont apportés mes déplacements sont une grande part de ma vie. J’ai toujours aimé partir à la recherche de l’histoire. C’est ce qui influence mon idée de l’esthétique. Il est bon de s’éloigner des clichés et des standards modernes. Il y a tant de belles choses ailleurs ». Elle récupère l’argent oxydé, signe du temps qui passe, et l’associe avec des breloques et chainettes. Chaque pièce devient alors porte-bonheur, signe d’un pays lointain. « Je suis tombée amoureuse de Paris, je m’y rends chaque année pour parcourir les marchés aux puces et les petits antiquaires à la recherche de nouvelles histoires à intégrer à ma collection ».

Elle mélange les symboles emblématiques à travers le monde, les réinterprète pour créer des pièces intemporelles. « On m’a un jour dit que j’étais un peu la rencontre entre Marie-Antoinette et le Rock and roll, je trouve que cela me correspond bien » conclue-t-elle.

Photo par Distra, Flickr

Quand Mita Naidu présente Lotus Eyes, son explication est directement liée à sa culture. « Dans la poésie, la danse et les textes classiques indiens, les références aux lotus sont faites en relation avec les yeux du personnage divin. Le jumelage antique et symbolique représente la beauté, la majesté, la grâce, la connaissance, la sérénité, la persévérance et la croissance. » Des valeurs qu’elle souhaite retranscrire dans ses créations mêlant les courants d’ici et les traditions indiennes. « L’intégration des tendances occidentales à la collection met un point d’honneur au respect du textile avec l’utilisation de coton, lin ou soie purs agrémentés des broderies traditionnelles en Inde. »

Pour ces créatrices, la mode est une autre manière d’établir le lien entre passé et présent, entre modernité et tradition mais aussi de créer un lien entre les différentes communautés. Pourquoi une femme blanche, ne porterait-elle pas le vêtement d’une toute autre culture que la sienne ? Au micro de CBC, la jeune créatrice balaie les doutes avec simplicité « évidemment, il ne s’agit pas de se sentir costumé. Mais tout est dans la manière de le porter et de l’accessoiriser. Avec un peu de pratique, il est facile d’occidentaliser un sari. » Elle utilise d’ailleurs souvent des bijoux d’ici et les associe aux saris indiens pour les rendre plus contemporains. « Je ne suis pas seulement du Canada, je viens aussi d’Inde et d’Europe. Nous ne vivons pas dans une seule culture fermée au quotidien, nous sommes au 21e siècle, pourquoi la mode ne s’adapterait donc pas ? C’est d’ailleurs pour cette raison que je ne me perçois pas comme une créatrice ethnique mais bien comme une styliste globale »

L’idée pour chacune d’entre elles, étant bien sûr de s’éloigner des clichés.