Le hasard fait bien les choses

15000 kilomètres à travers le Canada | Photo par Coralie Tripier

15000 kilomètres à travers le Canada | Photo par Coralie Tripier

Demandez à des nouveaux arrivants pourquoi ils sont venus poser leurs valises à Vancouver, et beaucoup vous donneront une réponse logique, une raison valable, comme un semblant de réflexion dans leur choix – une offre de travail, des proches, des études, un intérêt particulier pour la fameuse West Coast… Personnellement, j’y ai élu domicile par le plus beau des hasards, du haut de mes 19 ans et forte d’une expérience universitaire à Ottawa, avec une vague idée de ce qui pouvait bien m’attendre. L’important, c’était de continuer à voyager, à découvrir, et à confronter mes idées. Je dois l’admettre, je ne connaissais pas grand chose de Vancouver, à part que c’était loin, qu’il y pleuvait souvent et qu’on y skiait. Et qu’on y trouvait de bons sushis, aussi. Ce fut assez pour me convaincre.

Bien sûr, j’ai d’abord été frappée par la beauté des paysages (et des sushis), et à l’instar de tous les vancouvérois, j’ai admiré ces lacs et ces montagnes qui semblaient m’accueillir, mais j’étais loin d’avoir découvert tout ce qui m’attendait.

J’ai commencé par travailler dans la traduction, plutôt logique pour une voyageuse adepte des langues. Australiens, Japonais, Russes, Allemands, Chinois, Mexicains… Je me suis vite rendue compte de la diversité qui règne à Vancouver. Un jogging sur le Seawall, une balade au Stanley Park, un café à Gastown suffisent pour s’immerger dans des dizaines de langues, à imaginer les conversations des passants aux origines et histoires diverses, ou à s’improviser interprète. Vancouver, ce petit échantillon de la Terre entière, me tendait les bras et m’invitait à plonger dans ses différentes facettes, ses chocs culturels et ses multiples identités. Je n’ai pas rechigné et me suis même prêtée au jeu.

Vancouver la cosmopolite, Vancouver l’inconnue, mais surtout Vancouver l’imprévisible.

De fil en aiguille, et de façon plutôt inattendue, je me suis retrouvée bénévole sur une campagne électorale du Parti Libéral du Canada, moi la jeune française sans expérience politique. J’avais vaguement entendu parler des conservateurs et des libéraux, d’un Monsieur Harper pas toujours apprécié et d’un certain Trudeau junior aux airs de jeune premier. J’ai épluché les journaux et comblé mes lacunes afin d’aider un des candidats à la chefferie du Parti à faire voyager son message à travers le Canada. Le message n’est pas le seul à avoir voyagé :

pendant six semaines, j’ai traversé le pays dans le bus de campagne, avec notre équipe. Trois à quatre villes par jour, beaucoup de discussions, peu de sommeil, et plus de 15000 kilomètres, un programme intensif à travers toutes les pro-vinces, d’un océan à l’autre.

De grandes réunions politiques à Terre-Neuve, du porte-à-porte à Calgary par -20°C, des interviews dans le Nord de l’Ontario, des rencontres au Québec… Une expérience sur-réaliste pour une jeune française fraichement débarquée !

On m’a donné ma chance et on a cru en mes capacités, plutôt rare de nos jours. On ne s’est pas demandé si mon parcours universitaire correspondait parfaitement aux responsabilités qui allaient m’être conférées, ou si j’avais l’expérience requise pour avoir le droit de me créer une expérience… Fini le temps où je n’étais qu’un CV, que quelques lignes résumant maladroitement une expérience trop variée pour être synthétisée. J’étais un être humain comme les autres, et j’avais droit à une chance. Vous imaginez mon étonnement !

L’expérience fut incroyable mais pas toujours facile, comme toutes les expériences incroyables. Bien au-delà de la découverte de l’univers politique canadien, de la pratique intensive d’une langue étrangère qui m’est de moins en moins étrangère, et des 15000 kilomètres inscrits à notre compteur, c’est une vue d’ensemble qu’elle m’a apportée. Une vue d’ensemble sur le pays, sur le monde et sur moi-même. Une vue d’ensemble qui m’a fait comprendre qu’il faut se faire confiance et faire confiance aux autres, savoir sortir des sentiers battus et se réjouir de l’incertitude de l’avenir.

Je ne saurais toujours pas dire ce qui m’a amenée à Vancouver, mais je sais ce qu’elle m’a apporté – tout ce à quoi je ne me serais jamais attendue. C’est la particularité de cette ville, son essence même.

Finalement, Vancouver est faite de hasard, et le hasard fait bien les choses.