Jouer de prudence, ou l’art de gouverner sans faire de vagues

Certains seront sans doute surpris, mais le spectre de l’ex-premier ministre Jean Chrétien plane sur Ottawa. On n’a qu’à observer le comportement de l’actuel locataire du 24 Sussex pour conclure que l’approche de l’ancien Premier ministre tend à être imitée par le Premier ministre Harper. Cela me semble vrai à deux niveaux.

Premièrement, le Premier ministre base son approche politique de la même façon : chaque geste est déterminé par un seul objectif : gagner les prochaines élections. Deuxièmement, il évite de faire des vagues avec des grandes initiatives qui, souvent, deviennent difficiles à gérer et peuvent facilement déraper en raison de manque de contrôle absolu auquel on fait face lorsque trop de dossiers importants sont à l’agenda en même temps. C’est pourquoi Harper, tout comme Chrétien, préfère l’approche du « petit train va loin».

On voit la preuve de cette façon de faire dans un nombre de dossiers sur la table de travail du gouvernement fédéral. Prenez l’exemple de la réforme du Sénat. Le Premier ministre a, à ce jour, tout fait pour éviter d’y aller d’une réforme profonde qui l’aurait rapidement obligé à y aller de négociations constitutionnelles. Se rappelant sans doute les grands débats constitutionnels qui ont été omniprésents sous le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney – pour lesquels il a d’ailleurs payé un prix politique considérable dans l’Ouest du pays – il y va par étapes.

Non pas qu’il n’ait pas tenté de réformer l’institution bien avant que certaines de ses nominations ne lui causent des maux de tête. En fait, c’est un cheval de bataille des troupes conservatrices depuis plusieurs années. On se rappelera que c’est d’ailleurs ce sujet qui a vu un Premier ministre témoigner pour la première fois de l’Histoire devant un comité sénatorial lorsque Stephen Harper a comparu au Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat en 2006. Mais nonobstant l’importance de ce dossier pour le gouvernement, il a évité les grands coups d’éclat. Il y va prudemment. Pour l’heure, il attend le résultat de son renvoi à la Cour suprême du Canada qui sera entendu du 12 au 14 novembre.

La suite des choses dans ce dossier sera connue une fois que la Cour aura fait connaître sa position. Mais il y a tout lieu de croire que le gouvernement en fera un enjeu brèche contre les troupes libérales de Justin Trudeau pour maintenir son avantage dans l’Ouest. C’est un pari risqué. Bien que dans les circonstances actuelles ce sujet soit populaire, je ne suis pas convaincu qu’à lui seul il puisse devenir un enjeu électoral déterminant.

Un autre dossier dans lequel le Premier ministre semble prendre un peu l’exemple sur Jean Chrétien est l’intervention militaire du Canada en Syrie. Lorsqu’il formait l’opposition officielle, le parti conservateur avait vertement dénoncé le gouvernement Chrétien pour son refus de se joindre à l’intervention militaire en Irak. Voilà qu’à son tour, le Premier ministre semble avoir décidé de ne pas impliquer les troupes canadiennes dans une intervention militaire. À la différence qu’il appuie une telle intervention. Cependant, elle se fera sans l’aide de nos troupes.

Les déploiements militaires sont toujours cause de débats acrimonieux au terme desquels le gouvernement en sort rarement gagnant. De plus, selon le type d’intervention militaire, le Canada aurait probablement eu peu à contribuer. Dans ces circonstances, la décision canadienne est du gagnant-gagnant pour le gouvernement.

Jean Chrétien n’aurait pu faire mieux.