Le film « 11.6 » : le casse extraordinaire d’un homme ordinaire

François Cluzet incarne Toni Musulin.

François Cluzet incarne Toni Musulin.

Le 5 novembre 2009, 10 heures du matin : profitant de l’absence momentanée de ses deux collègues, Toni Musulin, convoyeur de fonds sans histoire, presse avec précaution la pédale d’accélérateur de son fourgon blindé. A bord se trouvent quelques 11.6 millions d’euros destinés à la Banque de France. Il met ainsi à exécution un plan longuement mûri, sans arme ni violence, digne d’un livre d’Arsène Lupin.

A première vue, l’intrigue semble annoncer un film fort en action et en rebondissements, une chronique à suspense, un thriller hollywoodien, relatant l’un des plus incroyables casses de la décennie, pour lequel son auteur a écopé de cinq ans de prison et qui l’a par ailleurs propulsé au rang de véritable héros populaire en France. Et pourtant, on est loin de la réalité.

Car ce qui intéresse le réalisateur, Philippe Godeau, ce n’est pas tant de montrer le vol en lui-même mais plutôt comment un Monsieur-tout-le-monde peut arriver à commettre un acte aussi extraordinaire. Il choisit donc d’aborder les faits sous l’angle de l’analyse sociale et psychologique et propose, dans 11.6, une étude de caractères tout à fait fascinante, qui s’attarde à brosser en profondeur les portraits de Toni Musulin – brillamment interprété par François Cluzet – et de son entourage, d’où parfois quelques lenteurs au niveau de l’intrigue.

Cluzet incarne un Toni Musulin plutôt réactionnaire, irréprochable dans son travail mais aigri par le manque de reconnaissance sociale, ce qui le rend froid et antipathique. Par son jeu très physique et expressif, ses silences, il excelle à mettre en avant le caractère mutique et impénétrable de l’homme, dont la personnalité et les motivations, résolument complexes, restent jusqu’au bout difficiles à sonder.

Est-ce l’appât du gain et son goût matérialiste pour les belles voitures – symbole de réussite sociale pour lui- qui le poussent à commettre ce vol ? Ou alors est-il vraiment un Robin des Bois des temps modernes animé d’un vif sentiment de justice et qui par son acte, a voulu faire un beau bras d’honneur à la société ?

Le film ne se risque à aucun parti-pris et c’est au public de percer le mystère qui entoure Musulin pour comprendre son geste. Cependant, le spectateur sent une certaine sympathie du réalisateur pour cet homme qui apparaît humilié et poussé à bout par le système au point de craquer et de décider de passer à l’acte, après avoir fait le vide autour de lui pour protéger ses proches – sa compagne, jouée par Corinne Masiero, et son collègue Arnaud, un brave garçon qui lui voue une admiration sans bornes. Bouli Lanners offre une prestation très convaincante et divertissante dans le rôle de cet ami simplet qui, par sa niaiserie et ses manières frustes, apporte au film une note de légèreté appréciable venant contrebalancer la personnalité torturée du premier rôle.

A la fin du film, plusieurs points de l’intrigue restent encore à éclaircir : Pourquoi Musulin se rend-il à la police au début du film ? Où sont passés les deux millions d’euros qui n’ont jamais été retrouvés ? Et qu’en est-il de cette arnaque à l’assurance dont on l’accuse et qui lui vaut deux années de prison supplémentaires ? Le spectateur reste un peu sur sa faim.

Cela dit, cette approche presque clinique donne un certain cachet au film si l’on considère que le réalisateur a choisi de s’en tenir aussi fidèlement que possible aux faits, aussi ambigus et partiels soient-ils, et qu’il ne pouvait donc en dire plus que ce que l’on sait sur Musulin.

La réalisation et la mise en scène sont soignées, sur fonds de paysages alpins et de Côte d’azur qui ajoutent à l’esthétique générale du film.

A voir, ne serait-ce que pour l’excellente performance de Cluzet et la réflexion société qu’il propose.

11.6
Réalisateur: Philippe Godeau
Date : 2012
Casting : François Cluzet,
Corinne Masiero, Bouli Lanners