Nommer des juges : un pouvoir stratégique

Photo par Bob Kelly, Flickr

Photo par Bob Kelly, Flickr

L’une des transformations les plus profondes du passage de Stephen Harper comme chef du gouvernement sera sans doute la marque qu’il aura laissée sur la Cour suprême du Canada. Il l’aura, en quelque sorte, modelé à sa façon. Au nombre des prérogatives qu’assume un Premier ministre, la nomination des juges du plus haut tribunal au pays trône très près du sommet. La récente nomination du juge Marc Nadon porte à six les nominations de Stephen Harper à la Cour qui compte neuf juges.

Pour le Premier ministre, c’est un des pouvoirs qui lui permet de garder sa base populiste satisfaite. C’est bien connu qu’un grand nombre des partisans les plus farouches de sa formation ont les questions de la criminalité et de la loi et l’ordre au cœur de leurs préoccupations. C’est d’ailleurs sur cet aspect que les membres du Parti conservateur peuvent donner au Premier ministre du fil à retordre. C’est pourquoi, on a vu le gouvernement actuel adopter un nombre de projets de loi visant directement ces questions.

De toute évidence, pour les conservateurs, l’agenda de la loi et l’ordre est un fruit facile à cueillir. Et ce, bien que l’économie et la responsabilité fiscale demeurent au centre du message du gouvernement conservateur. Toutefois, il est plus stratégique pour le Parti conservateur de se démarquer de ses adversaires lorsqu’il est sur ce terrain qui lui permet de jouer les durs et se présenter comme l’ultime protecteur de la population contre toutes sortes de crimes. Le tout, malgré les statistiques qui indiquent que la criminalité au pays est en baisse. Mais qu’à cela ne tienne, il y a une certaine conviction chez bon nombre de conservateurs que la criminalité au pays est hors de contrôle. Je ne m’arrêterai pas au bien-fondé ou non de cette perception. Elle est ce qu’elle est.

Dans ce contexte, il en revient au parti, et au gouvernement formé par ce parti, de télégraphier qu’il prend bonne note de cette situation. Et c’est ce qu’il fait depuis son arrivée au pouvoir avec un succès électoral évident. Et s’il y une question qui depuis longtemps est une épine au pied des membres de la formation c’est le pouvoir des juges. Les appels de plusieurs, exigeant de ramener à l’ordre les honorables juges, ont été multiples au cours des années. Ils ont été en avant-scène dans le discours politique du Reform Party et c’est l’un des dossiers qui n’a pas été oublié avec la création du parti conservateur. Encore aujourd’hui, on entend souvent les frustrations des membres de cette formation envers ce qu’ils considèrent être une usurpation, par les juges, des lois adoptées par le Parlement.

Marc Nadon, nouveau juge à la Cour suprême du Canada. | Photo de Cour suprême du Canada

Marc Nadon, nouveau juge à la Cour suprême du Canada. | Photo de Cour suprême du Canada

L’activisme judiciaire de la part des tribunaux est un refrain maintes fois répété par les conservateurs. Il y a de nombreux exemples de décisions des tribunaux qui les ont horripilés. Prenez celui de la Cour suprême qui a déterminé, en 2010, que les droits d’Omar Khadr avaient été violés. C’est le genre de décisions qui donnent de l’urticaire aux conservateurs. Il en est de même de la décision du gouvernement Harper de fermer le site d’injection Insite de Vancouver qui a frappé un mur en raison d’une décision du plus haut tribunal du pays.

Si tant bien que plusieurs leaders d’opinion chez les conservateurs au pays en sont venus à la conclusion que la Cour donnait une interprétation trop libérale de la Charte des droits et libertés, une interprétation qui, selon eux, ne cadre pas avec le courant social dans la société canadienne.

Dans ce contexte, les nominations du Premier ministre sont plutôt bien accueillies par ses partisans. Cela même s’il n’y a évidemment aucune garantie que ces juges épouseront une idéologie particulière. On verra dans quelques années si la Cour va en effet changer son interprétation de la Charte, entre autres. Mais le premier dossier qui attirera l’attention en est un autre que les conservateurs ont à cœur, soit celui de la réforme du Sénat qui sera entendu en novembre.