Le Musée Guggenheim de Bilbao est une œuvre architecturale fantastique. Si je ne l’avais pas vu maintes fois en photo, je n’aurais sans doute jamais pensé venir dans cette ville du Pays basque espagnol. Si l’extérieur m’a plu, les œuvres présentées à l’intérieur m’ont plutôt déçues. Peu importe, je ne suis pas critique d’art. Mais je suis bien venu dans cette ville à cause du musée, ce qui est exactement ce que voulaient ceux qui ont eu l’idée de transformer cette ville industrielle en déclin en destination touristique de renommée internationale.
C’est cela « l’effet Bilbao » tant de fois décrit dans les médias. Seulement, à vouloir faire court et simple, les journalistes ont parfois tendance à trop simplifier au risque de raconter une belle histoire qui n’est pas tout à fait vraie. C’est, je crois, le cas de l’histoire du Musée Guggenheim de Bilbao. Si l’on en croît bon nombre d’articles sur la question, l’histoire est à peu près comme suit: il était une fois une ville espagnole qui vivait de l’industrie lourde, notamment la sidérurgie et les chantiers navals. Du jour au lendemain, la mondialisation a fait disparaître ces industries et Bilbao est devenue un exemple de désindustrialisation, de chômage et de désespoir. Mais voilà que des élus locaux, visionnaires et cultivés, ont fait appel à la Fondation Guggenheim qui leur a construit un beau musée. En un coup de baguette magique artistique, les anciens ouvriers de la sidérurgie se sont reconvertis dans le tourisme.
Il y a du vrai dans ce beau conte de fée. Mais vous vous doutez bien que la réalité est un peu plus compliquée que cela. Dix ans avant la création du musée, les autorités municipales et celle de la région autonome du Pays basque espagnol ont lancé des méga-travaux publics pour transformer la région métropolitaine de Bilbao. Il a fallu démolir les friches industrielles, créer des autoroutes reliées au réseau autoroutier européen, construire un aéroport, une nouvelle gare, un système de tramway et rénover les beaux vieux bâtiments datant de l’époque où Bilbao était l’une des plus riches villes d’Espagne. Ce n’est qu’après ça que le gouvernement local a eu l’idée d’approcher la fondation américaine Guggenheim qui songeait à ouvrir un musée en Europe. C’était courageux de la part de ces élus qui ont pris le risque d’aller de l’avant avec ce projet sans s’engager au préalable dans des interminables débats visant à savoir combien de votes pourraient être gagnés ou perdus dans cette aventure. Le pari n’était pas gagné d’avance. Il y a eu des manifestations de chômeurs en colère qui demandaient de l’aide concrète plutôt que de « gaspiller » l’argent public dans l’espoir d’attirer quelques touristes. Peu de temps avant l’ouverture du musée, en octobre 1997, les médias locaux répétaient sans cesse que ce projet fou était voué à l’échec.
Mais le projet a été un succès puisqu’il a changé l’image de Bilbao et attire chaque année près d’un million de touristes. 4500 emplois auraient été crées directement et indirectement par le Musée Guggenheim de Bilbao. Il faut dire tout de même que ces emplois dans le tourisme sont nettement moins rémunérateurs que les emplois qui ont disparu dans les industries lourdes et que bon nombre de visiteurs ne passent que quelques heures dans la ville sans y dépenser beaucoup d’argent. Il n’empêche que le formidable bâtiment de l’architecte Frank Gehry a réussi à changer l’image de la ville.
Mais ceux qui exagèrent l’effet Guggenheim ont tendance à dire qu’il suffit de construire un super musée des Beaux-Arts pour transformer une ville, comme si cette transformation n’était pas aussi l’aboutissement de tous les travaux entrepris par Bilbao dix ans avant même l’arrivée du musée. Ainsi, depuis plus de dix ans, de nombreuses villes tentent de bénéficier elles aussi d’un coup de baguette magico-artistique à la Bilbao. Dans le nord de la France, Lens ouvre une succursale du Louvre. À Metz, c’est le Centre Pompidou alors que le Tate ouvre un musée à Liverpool. Il reste à voir si le « miracle » basque va se renouveler. Déjà, plusieurs villes ont échoué là où Bilbao a réussi. C’est le cas de Aviles, en Espagne, où le centre culturel international a dû fermer provisoirement un an après son inauguration, n’ayant pas eu les moyens financiers pour organiser des expositions artistiques d’envergure. À Saint-Jacques de Compostelle, l’ouverture de la Cité de la culture a été un échec également.
Pourtant, l’effet Bilbao fait rêver. La mairie de la ville affirme avoir reçu une cinquantaine de délégations gouvernementales au cours des six premiers mois de l’année. Dans bien des cas, un beau musée d’envergure internationale est la cerise sur le gâteau, mais il ne suffit pas d’une cerise pour faire un gâteau. Un musée est rarement suffisant pour transformer une ville.
Par contre une ville comme Vancouver, qui a déjà beaucoup à offrir du point de vue touristique, pourrait peut être bénéficier d’une superbe galerie des Beaux-Arts; cela donnerait aux visiteurs une raison de rester dans la ville un peu plus longtemps et donc d’y dépenser un peu plus d’argent. En plus d’être un atout économique, ce serait un facteur d’amélioration de la qualité de vie des résidents. Mais à Vancouver, où il faut un quart de siècle de débats avant d’aller de l’avant pour l’extension d’une ligne de métro, un projet audacieux tel que celui de Bilbao n’est sans doute pas pour bientôt.