Du passé militaire francophone au Jour du Souvenir

Photo par Pandor's Perspective, Flickr

Photo par Pandor’s Perspective, Flickr

Depuis quelques jours déjà, les coquelicots ornent fièrement les habits d’automne des vancouvérois. Symbole associé à la mémoire de ceux qui sont morts à la guerre, il permet à chacun de ne pas oublier.

Comme chaque année depuis 1924, le Jour du Souvenir, la plus ancienne cérémonie annuelle de la ville, sera célébré à Victoria Square à Vancouver. Les anciens combattants francophones seront aussi au rendez-vous.

Une histoire méconnue
Les livres d’histoire parlent peu de la participation des Canadiens de langue française à l’effort de guerre sous le drapeau canadien.

Le Musée de la guerre, installé à Ottawa, revient sur les tensions linguistiques, culturelles et politiques qui ont entouré l’histoire militaire canadienne. « La plupart des Canadiens d’expression française ne se sentaient pas investis dans leurs engagements militaires à l’étranger au même degré que les anglophones », évoque-t-il sur son site Internet.

Michel Litalien, historien militaire spécialiste des francophones lors des guerres, appuie ce constat : « le nombre d’enrôlements volontaires chez les Canadiens-français était beaucoup moins élevé que chez les Canadiens-anglais. Ce peu d’enthousiasme a mené à la conscription en 1917 et en 1942/1944, malheureux évènements qui ont divisé le pays. » Il souligne toutefois que « le refus de servir s’est également manifesté ailleurs au pays, notamment chez les fermiers de l’Ouest canadien ».

Si les statistiques n’abondent pas, les francophones étaient pourtant nombreux à peupler les rangs de l’armée canadienne et à modeler, eux aussi, l’histoire moderne : « Uniquement du côté de l’armée de terre et de l’infanterie, il y eut 57 unités, bataillons et batteries bilingues ou de langue française au cours de la Seconde guerre », illustre la Force francophone, portail intégré au site Anciens Combattants Canada.

Dans leur livre Les Canadiens-français et le bilinguisme dans les forces armées canadiennes, les auteurs Serge Bernier et Jean Pariseau estiment aussi que des quelques 730 625 hommes et femmes militaires canadiens ayant servi pendant ce conflit, plus de 139 550 étaient des francophones.

Des témoignages précieux
« Les combattants francophones ont été très fiers de servir leur pays, mais comme les soldats anglophones, plusieurs sont revenus blessés, amortis et désillusionnés. Pouvant difficilement communiquer ce qu’ils ont vécu au cours de la guerre, ils se sont tus, d’où la difficulté de retrouver des témoignages écrits en français de nos jours », révèle l’historien Michel Litalien.

Le Projet Mémoire devient alors une ressource précieuse. La plateforme rassemble par dizaines les récits d’anciens combattants de toutes origines et de divers conflits. Derrière des souvenirs de guerre parfois douloureux, leurs histoires laissent deviner le fort sentiment d’appartenance qui reliait les Canadiens-français entre eux.

René Massé, originaire du Québec et ancien combattant de la Seconde guerre, se souvient : « On m’a dit : Frenchie, si tu veux aller dans un régiment canadien-français tu as l’opportunité. Le 22e demande du renfort. C’était tous des gars de la région de Saint-Jean-Sur-Richelieu. Je me trouvais réellement en famille. Dans le 22e, ils nous appelaient la gang de Saint-Jean. »

Un état d’esprit que Philippe Bruneel, Président de l’Amicale des Anciens Combattants Français en C.-B. (AACFCB) ayant servi 24 ans dans les forces spéciales de l’armée française, résume en quelques mots : « l’esprit de corps. »

Aujourd’hui, il n’existe plus de survivants de la Première guerre mondiale au Canada et 500 anciens combattants de la guerre 1939–1945 meurent chaque semaine, selon les chiffres d’Anciens Combattants Canada.

Une réalité qui pose des défis de recrutement à l’ AACFCB, relevés par Philippe Bruneel : « malgré nos efforts, nous avons des difficultés à attirer de nouveaux membres. Nous sommes donc dans une dynamique d’ouverture à tous les sympathisants de l’Amicale, et de la République. »

Une francophonie plurielle
Attaché aux valeurs de son pays d’origine, Philippe Bruneel tient à bien différencier l’ACCFCB dans le paysage local : « Par méconnaissance et en raison de leur animosité historique, les anglophones ont tendance à faire un amalgame entre anciens combattants français et francophones. Mais la France a sa propre histoire », rappelle-t-il.

Pourtant, le 11 novembre, le drapeau tricolore portant la signature de l’Amicale flottera avec fierté aux côtés de nombreux autres. L’effervescence est à hauteur de l’ampleur de l’évènement, que Philippe Bruneel a vécu comme un véritable choc culturel lors de son arrivée à Vancouver : « alors que la France se consacre surtout à la célébration de l’Armistice de 1918, ici les gens de tous les conflits, de toutes les origines sont invités à célébrer l’armée canadienne et les armées étrangères dont certains ressortissants vivent à Vancouver. »

Un sondage IPSOS de l’année dernière révélait d’ailleurs l’engouement fort et croissant des Canadiens pour le Jour du Souvenir. 80 % comptaient respecter les minutes de silence observées traditionnellement, tandis que 82 % prévoyaient d’acheter la symbolique cocarde commémorative.

Ces résultats sont le fruit d’un grand effort de sensibilisation entrepris par le Gouvernement. « De ce point de vue, le Canada fait un très bon travail. Les cadets [enfants de troupe NDLR] participent à chaque défilé, posant des questions sur les conflits passés et assurant que la relève est prête », félicite Philippe Bruneel.

Anciens Combattants Canada orchestre également le programme Le Canada se souvient qui attire l’œil des jeunes et Néo-canadiens sur les « sacrifices que les Canadiens ont fait pour leur pays » dans les guerres livrées jusqu’à aujourd’hui.

Les vétérans y sont enfin pour beaucoup. « J’ai embarqué dans la Légion royale canadienne pour essayer d’éduquer nos jeunes », confie Georges Bélanger, ancien combattant de la Seconde guerre. « Aujourd’hui, si on est bien assis, cela ne veut pas dire que demain nous le serons aussi. »

Jour du Souvenir
11 novembre à 10h15
Victory Square Park
(Rues Hastings ouest et Cambie)

« Le Canada se souvient » : facebook.com/LeCanadasesouvient
Semaine des Vétérans, calendrier des activités: http://www.veterans.gc.ca/fra/commemoration/semaine-veterans/carte