Marseille: une renaissance difficile

Le port de Marseille | lPhoto par Pascal

Le port de Marseille | lPhoto par Pascal

En deux mille six cents ans d’existence, Marseille a connu des hauts et des bas. Pour ne parler que de l’histoire récente, c’est-à-dire du milieu du 19ème siècle au milieu du 20ème, Marseille a trouvé sa raison d’être en tant que porte de l’Empire colonial français. C’est par le port de Marseille que transitaient les passagers et marchandises en partance ou en provenance de l’Afrique du nord, du Proche-Orient, des colonies de l’Océan indien ou de la lointaine Indochine.

L’activité portuaire et la transformation des produits coloniaux ont créé une activité économique en mesure de fournir de l’emploi aux vagues d’immigrants arrivant des quatre coins du bassin méditerranéen. Avec l’effondrement de l’Empire colonial, la ville a eu de plus en plus de mal à fournir de l’emploi à ces immigrants qui arrivaient nombreux des anciennes possessions d’Outre-mer. Depuis, la ville est en déclin.

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La vue du port de Marseille. | Photo par Pascal

Quand on dit, Marseille, on ne pense plus tellement à Pagnol et aux joyeuses parties de cartes au bar de la marine, mais on pense plutôt au chômage, aux friches industrielles et aux crimes. Les articles de journaux aussi bien que les films et les romans, n’en finissent plus de décrire Marseille comme étant une sorte de Naples francophone où mafieux et politiciens s’entendent beaucoup trop bien. « Tout cela est exagéré par les journalistes parisiens », disent les marseillais. Il est vrai qu’avec à peu près dix à vingt meurtres par an, Marseille n’est pas Caracas ou Johannesbourg. Plusieurs villes françaises, Pointe-à-Pitre et Cayenne notamment, dépassent Marseille de très loin en ce qui concerne les crimes violents. Mais peu importe car ce n’est pas tant les règlements de compte entre truands qui inquiètent les touristes mais plutôt la petite criminalité de rue, vols de sac à main etc. C’est le type de crime qui est trop fréquent dans un milieu où le chômage chez les jeunes est énorme et où les chances de s’en sortir semblent minces. Dans un tel contexte, quand les autorités régionales et nationales ont décidé que le tourisme pouvait être à la base d’un vaste plan de renaissance, cela a suscité des ricanements cyniques.

Le pari n’est pas gagné, mais il ne semble plus impossible. Six cents millions d’euros ont été dépensés dans les communes qui forment la grande région de Marseille. Ravalement de façades, transformations de friches industrielles, projets d’embellissement en tout genre, Marseille commence à renaître. Le port a su attirer de nombreux bateaux de croisière. Les campagnes publicitaires commencent à porter fruit. Même le feuilleton à l’eau de rose, « Plus belle la vie » (sur TV5 Canada) a contribué à attirer des visiteurs. Les chiffres sont encourageants. Le tourisme amène 700 millions d’euros par an et emploie quinze mille personnes. Le taux de remplissage des hôtels est suffisamment élevé pour inciter les grandes chaînes à construire de nouveaux établissements. Faisant valoir le climat, les musées, les calanques et les parcs nationaux aux portes de la ville, les autorités locales rêvent d’un Marseille qui deviendrait le nouveau Barcelone, à moins de 4 heures de TGV (Train à grande vitesse) de Paris. On « vend » même les attraits multiculturels de la ville, mais sans trop insister car, pour beaucoup de Français, immigration rime avec problèmes. Cette année, Marseille a été désignée capitale culturelle de l’Europe pour 2013, ce qui donne un sérieux coup de pouce au secteur touristique.

Le projet phare est sans aucun doute l’ouverture du MUCEM, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Le musée s’étend du Fort Saint-Jean, qui marque l’entrée du vieux port, à des nouveaux bâtiments reliés à la vieille forteresse par des passerelles à ciel ouvert qui surplombent des plans d’eau. Le tout est très impressionnant, mais j’avoue que j’étais un peu inquiet à propos de l’intérieur. Après tout, un musée sur les civilisations de la Méditerranée aurait pu être une ribambelle d’amphores en rang d’oignons et une collection de pots cassés datant de la Grèce antique. Mais heureusement, les responsables du musée ont pris le mot « civilisation » au sens large. Grâce à un mélange de peintures, sculptures et présentations audiovisuelles tous les sujets de la civilisation moderne sont abordés. Les droits de la personne, le mouvement féministe, le port du voile islamique, le printemps arabe, la guerre d’Algérie, l’immigration, la situation des Palestiniens, la guerre des Balkans, aucun sujet n’est occulté de peur de déranger. Il est rare qu’une visite de musée suscite autant d’émotion. Depuis son ouverture au printemps dernier, le musée a été très bien accueilli par les critiques et alors qu’il espérait recevoir trois mille visiteurs en 3 mois, il en a reçu un million. Profitons-en, car vu l’état financier de la France à l’heure actuelle, c’est sans doute le dernier grand projet culturel pour bien longtemps.

Alors ? Marseille, le nouveau Barcelone ? On n’y est pas encore, mais ce n’est pas impossible. Marseille ne sera sans doute jamais une ville aseptisée entièrement tournée vers le tourisme. Tant mieux ! Mais si vous vous ennuyez à Cannes ou Puerto Vallarta, Marseille est peut-être pour vous. C’est une ville vraie, qui se découvre petit à petit. Les côtés sombres font partie du tout.