Bruges, au cœur de la Belgique anglophone

Les canaux de Bruges. | Photo par Pascal Guillon

Les canaux de Bruges. | Photo par Pascal Guillon

Une petite recherche sur les sites de voyage concernant la Flandre (province néerlandophone de Belgique) a de quoi inquiéter le visiteur francophone. Dans les nombreux forums en ligne où les touristes donnent leurs avis, il est recommandé de ne pas parler français en Flandre. Il est plutôt recommandé de parler anglais. Mettez « parler français en Flandre » dans Google et vous obtiendrez de nombreux articles et témoignages effrayants. Je note le cas d’un couple français tabassé par des skinheads flamands parce qu’il parlait français dans la rue. Il y a aussi le cas de cette femme qui s’est fait engueuler parce qu’elle parlait en français sur son portable. Il y a également de nombreux articles sur le fait que les fonctionnaires de Flandre n’ont pas le droit de parler français pendant leur travail. J’en ai fait l’expérience avec le personnel des chemins de fer. À toutes les questions en français, ils répondent en anglais. Si l’on met bout à bout tous les faits divers choquants concernant les victimes de la guerre linguistique belge, on pourrait vite conclure qu’il est dangereux pour un francophone de venir en Flandre. On aurait tord. Les choses ne sont pas si dramatiques que ça et ce serait dommage de ne pas visiter la magnifique ville de Bruges.

Sans refaire l’historique des disputes linguistiques en Belgique, il est bon de rappeler quelques faits. Le français a longtemps dominé dans l’ensemble du pays et les néerlandophones étaient obligés d’apprendre le français pour réussir dans la vie alors que les francophones se donnaient rarement la peine d’apprendre l’autre langue. Mais les choses ont changé depuis deux générations. Les néerlandophones sont maintenant plus nombreux et généralement plus riches que leurs concitoyens francophones. L’heure de la revanche a sonné et ils ne veulent plus apprendre le français. La Belgique est divisée en deux grandes provinces. Il y a la Flandre, qui est unilingue néerlandophone et la Wallonie qui est unilingue francophone. Il y a aussi une petite région où la langue officielle est l’Allemand, mais surtout, il y a Bruxelles, la capitale fédérale qui est la seule région officiellement bilingue français/néerlandais. En Flandre, c’est clair, ils parlent flamand (néerlandais avec des particularismes régionaux) entre eux et en anglais aux autres. Mais si l’histoire évolue, la géographie reste la même et les flamands vivent non seulement à côté de leurs concitoyens francophones mais aussi à côté de 65 millions de français.

Dans une ville comme Bruges, qui vit du tourisme, les commerçants et leurs employés vous servent sans problème en français ou en anglais, même si les plus jeunes sont clairement plus à l’aise avec la langue de Shakespeare que celle de Molière. Ayant péniblement appris une cinquantaine de mots néerlandais lors de précédents voyages aux Pays-Bas, j’ai parfois tenté de m’exprimer dans cette langue. C’était souvent mal accueilli car les flamands pensaient que j’étais un belge pas foutu d’aligner plus d’une phrase dans leur langue. Par contre, quand je disais en néerlandais « excusez moi, je suis français et je ne parle pas néerlandais, est-ce que vous parlez français ? » Là, l’accueil était très bon. Il n’y a pas à dire, la Belgique… c’est compliqué. J’ai aussi essayé de m’adresser aux gens directement en anglais. Effectivement, l’accueil était meilleur.

Alors? Qu’en est-il de ces flamands anti-francophones qui vous agressent si vous parlez français? Après deux jours dans la ville touristique de Bruges où on peut être servi aussi bien en français qu’en anglais, j’étais sur le point de penser que la haine du français n’était qu’un mythe urbain. Pour tester la chose, je me suis rendu dans les faubourgs de Bruges, loin du vieux centre touristique et dans un quartier plutôt ouvrier. Je suis entré dans un bistro d’allure douteuse et mon joyeux « bonjour messieurs dames » a été reçu dans un silence glacial. Le colosse derrière le bar m’a regardé avec la tête du type qui se demande s’il devrait vous mettre dehors tout de suite ou vous vendre quelque chose d’abord. Je ne me suis pas éternisé dans ce bar où les regards n’avaient rien d’amicaux. J’ai demandé mon chemin à une dame qui, en guise de réponse, a fait un aghhhh agacé avant de continuer son chemin. Je suis ensuite entré dans trois magasins sous prétexte de chercher un produit quelconque. Dans deux des trois magasins, mes questions en français ont produit des réponses en anglais.

Conclusion de cette petite « recherche » non scientifique? Dans un quartier touristique de Bruges, où l’on reçoit beaucoup de touristes français, vous pouvez, à la rigueur, parler français. Ailleurs en Flandre, pour éviter les ennuis, il est préférable de parler anglais. Dans le contexte belge, l’anglais n’étant la langue de personne, elle est la seule a être la langue de tout le monde. C’est peut être un peu agaçant de devoir parler anglais dans une région d’un pays que l’on a tendance à considérer comme étant principalement francophone, mais d’un autre côté, ces disputes linguistiques ne regardent que les Belges et je me dis qu’en parlant anglais en Flandre, j’exprime avant tout ma neutralité. Mais parfois, dans le courant d’une conversation en anglais, quand mon interlocuteur découvre que je suis francophone mais pas belge, il décide spontanément de passer de l’anglais au français. Il n’y a pas à dire, la Belgique, c’est compliqué.