Le Paradis fictif

Est-il possible de faire de la politique et d’être honnête? Il y a longtemps que je me pose cette question. Les derniers évènements, qui ont secoué la politique canadienne, me poussent de nouveau à m’interroger. L’affaire des sénateurs voleurs, celle des maires bandits et la saga de Rob Ford, dont la renommée et le ridicule ont largement dépassé nos frontières, m’invitent, encore une fois, à la réflexion.

Ma réponse est catégorique et sans équivoque : non. Il est impossible, selon moi, d’entrer dans l’arène politique sans devoir quelque chose à quelqu’un. Et ce quelqu’un, qui peut être une quelqu’une, viendra un jour ou l’autre réclamer son dû. De plus, comme on le dit si bien, le pouvoir corrompt. Alors pourquoi s’étonner des dérives de nos politiciens ? Ils n’y peuvent rien. C’est en dehors de leur contrôle. La nature humaine est ainsi faite. Nous sommes tous, à un degré ou à un autre, corrompus ou corruptibles. Et ce n’est peut-être pas de notre faute.

Pour que vous compreniez bien ma logique, il faut que je vous ramène au sixième jour de la création du monde. La Bible, l’ancien testament, nous dit que Dieu créa l’homme. Il prit ensuite une de ses côtes, on ne dit pas laquelle, et créa la femme, plutôt que de se faire cuire une entrecôte avec. J’imagine que l’Être suprême doit être végétarien. Tant mieux pour lui. Jusque-là, vous me suivez j’espère. À ces deux nouveaux êtres, on donna le nom d’Adam et Ève. Deux jolis noms, il faut l’admettre (on aurait pu les appeler Gaston et Bécassine). Ces deux charmants personnages s’installèrent tranquillement dans le jardin d’Éden, leur nouvelle propriété qui leur avait été léguée sans frais et sans passer par un agent immobilier.

Photo par Thomas Hawk, Flickr

Photo par Thomas Hawk, Flickr

Il s’y baladèrent tout nus. Oui, je dis bien tout nus au risque d’offusquer certains lecteurs ou certaines lectrices. Au cours de leur promenade, ils ramassèrent une feuille de vigne dont ils se couvrirent afin de se protéger des voyeurs, ignorant qu’ils étaient les seuls dans ce nouveau monde. Cette tentative de camouflage des parties intimes inspira beaucoup plus tard les grands couturiers tels qu’Yves Saint Laurent et Coco Chanel.

Mais je m’égare. Chemin faisant ils aperçurent un pommier. Sur ce pommier, logeait un serpent dont, jusqu’à ce jour, il a été impossible, à ma connaissance, de déterminer le sexe et l’espèce. Mais ceci, en fait, à très peu d’importance. La suite de cette histoire, par contre, en a.

Le serpent, tout en gardant son sang froid, s’adressa à Ève en ces termes: « Eh ! Salut Ève, que tu es belle mais encore pucelle. Si tu ne veux plus être sage et perdre ton pucelage, fais manger la pomme à ce bêta d’homme. » Jean de Lafontaine, au XVIIème siècle, fit sien de ces vers comme vous l’avez sans doute constaté. Toujours est-il, qu’Ève succomba à ce trafic d’influence. Ça commence bien, vous me direz. Elle, je parle toujours d’Ève, fit un clin d’œil au serpent à qui elle avait tendu une enveloppe pour le rembourser de sa dépense (je ne vise personne, mais suivez mon regard). Le reptile, séduit, laissa tomber, non pas le fromage mais, la pomme sur la tête d’Adam. Celui-ci, pour un instant, se prit pour Newton. Il reprit toutefois ses esprits et ramassa la pomme.

Ève, aguicheuse, s’approcha de lui « Croque la pomme » lui dit-elle. Adam entendit alors une voix autoritaire venue de l’Au-delà qui le fit trembler « Rappelle-toi, bonhomme. Cette pomme n’est pas pour ta pomme ». Ève, devenant de plus en plus irrésistible, fit appel à tous ses moyens afin de vaincre la résistance de son seul et unique compagnon « Croque et je te ferai goûter au fruit défendu. » Adam hésita. « Croque et j’enlève ma feuille de vigne » insista-t-elle tout en lui faisant des yeux doux. Adam, qui en était à sa première aventure amoureuse, craqua. Il croqua la pomme à pleine dent.

Dieu, à juste titre, se fâcha. On venait de lui désobéir. Il tenait à ses pommes et n’a pas pu tolérer, pour des raisons purement politiques, c’est-à-dire de pouvoir, qu’un objet de sa création puisse succomber aux charmes de la première venue (littéralement). Son autorité mise en cause, il crut bon de trancher. Ève et Adam (j’ai inversé l’ordre pour faire plaisir aux féministes) et nous, leur progéniture par extension, furent alors chassés du paradis.

Rappelons-nous donc, lorsqu’il s’agit de juger nos politiciens, de qui nous tenons et d’où nous venons. « Que celui ou celle qui n’a jamais fumé du crack, me jette la première pierre » pourrait dire Rob Ford qui ne craint pas d’être dilapidé. En faisant preuve d’indulgence, nous pouvons les comprendre ces malpoli-ticiens. Nous ne sommes pas obligés toutefois de pardonner leurs excès. Surtout lorsqu’ils sont pris la main dans le sac. La générosité a ses limites.

Et puis, pour conclure sur une bonne note, aurait-on connu l’amour si Adam et Ève (retour à l’ordre traditionnel pour faire plaisir aux machos) n’avaient pas mordu le fruit défendu ?

P.S. : Je tiens à remercier les auteurs de la Bible pour m’avoir permis de passer d’une fiction à une autre.