La polémique Catton bouscule l’identité littéraire canadienne

Mi-novembre, une controverse agitait le gotha littéraire anglophone : la nomination et l’obtention par Eleanor Catton, une Canadienne ayant vécu toute sa vie en Nouvelle-Zélande, du prestigieux Prix littéraire du Gouverneur Général pour son ouvrage The Luminaries. Au cœur du débat, la légitimité du seul et unique critère de la citoyenneté de l’auteur.

Des contours difficiles à définir

F_p10_cattonPour certains, le témoignage de la citoyenneté est suffisant. Katia Grubisic, écrivaine, considère que les règlements en vigueur au Conseil des Arts du Canada sont les plus cohérents. « Les débats sur quels thèmes, quelle histoire, quels personnages forment la conscience culturelle d’un pays sont intéressants mais ils appartiennent à la critique », indique-t-elle.

Hal Wake, directeur artistique du Vancouver Writers Fest, a le même sentiment: « Au-delà de la marque de citoyenneté, comment réussir à établir la relation de quelqu’un avec le pays? », soulève-t-il.

Intellectuels et écrivains semblent en effet s’accorder sur la difficulté de fonder les critères d’appartenance d’un auteur « national ». Dans le milieu littéraire, anglophone ou francophone, c’est de là que la polémique s’installe.

André Lamontagne, écrivain et professeur de littérature à UBC, tente de dresser les contours de ce qui définit selon son expression l’« appartenance institutionnelle littéraire » d’un auteur. Il justifie les récentes critiques par le fait « Eleanor Catton n’a pas d’appartenance à la culture, littérature, identité canadienne autre que ce lien de naissance. Sa « canadienneté » ne se reflète ni dans son œuvre ni dans son attitude en tant qu’écrivain ».

Résonance en milieu francophone

Si la polémique Catton a peu résonné dans la presse littéraire francophone, elle aborde des questions ayant traversé les époques et restant d’actualité, directement associées au phénomène identitaire littéraire.

Les exemples abondent. « Ce type de scandale est assez récurrent dans l’histoire de la littérature canadienne, y compris dans le Canada francophone », livre Joël Castonguay-Bélanger, professeur adjoint de littérature à UBC.

Le professeur Lamontagne revient ainsi sur le cas de Nancy Huston. Canadienne née à Calgary, elle est très vite partie vivre à Paris et est identifiée comme appartenant au milieu littéraire parisien. Pourtant elle a remporté le Prix des lecteurs de Radio-Canada en 2007 avec son livre Lignes de faille, provoquant certaines réactions dans le monde des lettres francophones du Canada.

La question de la citoyenneté en croise souvent une autre, tout aussi centrale : celle de la langue. En 1993, l’écrivaine Nancy Huston avait de nouveau suscité la controverse en se voyant attribuer le Prix littéraire francophone du Gouverneur Général pour un ouvrage écrit en anglais qu’elle avait traduit elle-même en français, La Cantique des Plaines. Certaines voix s’étaient élevées, ne reconnaissant l’auteur comme ni québécoise, ni francophone.

A la lumière de la définition complexe de l’identité québécoise, des discussions internes au pays ont parfois tendance à s’échauffer. Ainsi, l’appartenance de Gabrielle Roy, écrivaine d’expression française née au Manitoba ayant passé une grande partie de sa vie au Québec, reste floue : « doit-on la qualifier de Canadienne d’expression française ou de Québécoise? » questionne Joël Castonguay-Bélanger.

Valoriser la littérature canadienne

« La littérature joue un rôle central dans le processus de constitution identitaire », affirme André Lamontagne. Si son rôle en tant qu’instrument privilégié dans la construction de l’identité nationale n’est pas contestable, la question de sa valorisation au sein du pays se pose en toile de fond.

Alors qu’en Colombie-Britannique les auteurs canadiens ont tardé à être intégrés dans les programmes scolaires, au Québec « il s’agit toujours de savoir ce qui devrait avoir préséance dans les cours de littérature : Balzac ou Michel Tremblay? La littérature française de France ou la littérature locale? » illustre Joël Castonguay-Bélanger.

Pour André Lamontagne, cela s’explique par le passé colonial du Canada: « Nous avons tendance à privilégier la métropole, au détriment de notre littérature. Il est plus prestigieux de publier à Londres ou à Paris », reconnaît-t-il. « Or nous avons aussi besoin d’apprécier, de soutenir la littérature nationale ».

Si des efforts conjoints sont à mener dans ce sens, cela semble être en bonne voie selon Joël Castonguay-Bélanger: « le Canada anglais et le Canada francophone se rejoignent dans un même désir de voir les Canadiens valoriser davantage leur littérature ».

Hal Wake se réjouit en tout cas de l’effet positif qu’aura entraîné cette controverse mineure : « pousser Eleanor Catton à établir des connexions plus fortes et plus visibles avec notre pays. » De nombreux auteurs se sont d’ailleurs enthousiasmés de sa nomination, fiers de reconnaître cette écrivaine à succès dans la communauté canadienne.

Comme pour trancher la polémique, Katia Grubisic rappelle enfin que l’ambition d’un auteur ne se limite pas à gagner des prix : « on écrit pour un public beaucoup plus flou, plus grand et plus lointain que le jury de l’année; c’est ça qui nous rend humain ».