Sur les traces d’une généalogie faite de méandres

L’arrivée des immigrants par bateau au début du siècle dernier. Photo d'ancestry.ca

L’arrivée des immigrants par bateau au début du siècle dernier. Photo d’ancestry.ca

Depuis plusieurs décennies, la généalogie jouit d’une place importante dans le quotidien des Britanno-colombiens et des Canadiens, quel que soit leur niveau social ou leur origine. Un passe-temps de prédilection ou une mode qui perdure mais qui simule un voyage dans le temps, voire une incursion centrée sur une quête ancestrale.

Si en France, il n’y avait que les registres des églises pour l’état civil avant la Révolution de 1789, en revanche, c’est Jean Talon, premier administrateur du Québec, connu jadis comme la Nouvelle-France, qui revendique la paternité des archives d’état civil du Canada. En 1666, éclairé par un enthousiasme hors-pair, il fait du porte-à-porte pour recueillir les données qui vont écrire les premières pages des archives de l’état civil canadien.

Un jeu de chiffres et de lettres…

Plus de trois siècles de récits appuyés sur l’évolution socio-démographique consolident la genèse de la généalogie. Alex Haley, auteur américain du chef d’œuvre Roots (Racines) dans les années 1970 déclenche une prise de conscience et titille l’intérêt de passionnés avides d’explorer l’intimité de leurs racines familiales. Ceux-ci remontent le temps et greffent sur l’arbre généalogique des brindilles qui formeront des branches solides après des années de recherches, faites de témérité et d’optimisme car les énigmes se juxtaposent à la frustration et à l’excitation, telles des indices sur une carte de chasse au trésor.

« Heureusement qu’il y a désormais une explosion d’informations », lance Guy Cribdon, libraire à la Grande bibliothèque de Vancouver. « A l’époque de l’avant internet, nous avions peu de microfilms pour les recherches généalogiques. La majorité des canadiens étant non-autochtones, des déplacements dans les pays d’origine s’avéraient nécessaires. Il est beaucoup plus pratique aujourd’hui de consulter les logiciels informatiques spécialisés pour effectuer les recherches préliminaires ».

Depuis 2006, le site Ancestry.ca
pourvoit à ce type de recherches. Selon une étude réalisée en 2013 par cet organisme, plus d’un tiers de canadiens avouent avoir créé leur arbre généalogique et 92.5% revendiquent le devoir moral de rechercher leurs liens ancestraux. Un exercice presque ludique et éducatif qui suscite l’émerveillement. Tissé comme une toile d’araignée, ce site renferme un cocon de documentation. Recensements, fiches d’état civil, d’immigration et de service militaire, entre autres, consolident leur banque de données.

Si la bibliothèque de Cloverdale à Surrey prime en matière de généalogie, la Bibliothèque centrale de Vancouver dispose d’un important volume de ressources recueillies minutieusement depuis les vingt dernières années. Des registres d’état civil jaunis par les empreintes du temps occupent des espaces privilégiés sur les étagères et côtoient les divers recensements effectués désormais sur une échelle de cinq ans. Afin d’optimiser son service, la Bibliothèque de Vancouver détient un abonnement auprès d’ancestry.ca et les abonnés peuvent consulter le site gratuitement dans toutes les succursales.

Des racines avec des épines …

Jonina Lynn Kirton, écrivaine et poétesse originaire du Manitoba est une amatrice férue de la généalogie. Elle confie avec volubilité : « Mon âme de poétesse m’insufflait l’inspiration d’aller en quête du passé lointain afin d’apaiser mes tourments ». Elle consacre des nuits entières aux recherches à travers la Société Historique de Saint-Boniface à Winnipeg et ancestry.ca. Les résultats éclipsent en un éclair ses croyances préconçues, inculquées par sa famille, sur le fait qu’ils étaient de souche française. Le rapport généalogique est catégorique et dérangeant. Nombreux de ses aïeux étaient sioux et l’ascendance française n’apparaît qu’en 1685.

La généalogie ne cesse d’attirer de nouveaux adeptes. Photo d'ancestry.ca

La généalogie ne cesse d’attirer de nouveaux adeptes. Photo d’ancestry.ca

C’est un film de pur western des années cinquante qui déferle sous ses yeux… Ses rêves tournent au cauchemar. Au lieu d’un roman à l’eau de rose et de spiritualité, comme elle l’avait souhaité d’une communauté d’amérindiens, le scénario décrypte combats et tueries, dont son arrière-grand-père serait complice. Ses recherches la conduisent également au musée dans les Rocheuses de l’Ouest et dans la Vallée du Quesnel. « Il ne fallait surtout pas effleurer le sujet de l’appartenance ancestrale au sein du foyer familial. Quand nous n’étions pas Français, nous étions alors Écossais! » Des fabulations évidentes et pour raisons »
avance Jonina Lynn Kirton. L’histoire remonte à l’époque du dirigeant Louis Riel qui fut pendu. C’était en 1885. L’incident provoque un rejet total de toute appartenance métisse. Sécurité et survie obligent! Ce fut un épisode noir où le statut de métis signifiait être paria de la société.

L’histoire de Patricia Parsons est en tout différente de celle de Jonina Lynn Kirton. Etant également une passionnée d’histoire depuis l’enfance, elle plongeait souvent son regard dans les photographies de ses aïeux, conservées précieusement dans la famille. Toutefois, les images déclenchent une série d’énigmes et d’anicroches lorsqu’elle tente de reconstituer l’histoire ancestrale. Rassembler les pièces du puzzle et comprendre les tribulations de ses ancêtres s’avèrent une soif qu’elle veut à tout prix assouvir. Elle relate: « Je suis chanceuse d’être née canadienne et je serai éternellement reconnaissante envers mes ancêtres. Mais, il est aussi important de comprendre leur histoire. Quand vous connaissez vos origines, vous avez un sens de direction dans votre vie et pouvez alors orienter vos futures générations ».

Comprendre les énigmes

Toutefois, faute de ressources, ses recherches s’arrêtent court. Les pistes se brouillent. Les empreintes se perdent mais ne s’effacent pas. La fascination, la patience mais aussi la frustration sont à l’ordre du jour. Elle avance de deux pas mais recule parfois de quatre, compte tenu d’indices erronés. L’héritage canadien étant formé d’une mixité de cultures, il arrive que lors des recherches, quoique astreignantes, toute une page d’histoire et de géographie se dévoile. Découvrir un arrière-grand-père bâtisseur d’une ville en Alberta, et un autre venant d’une lignée de prêtres et de religieuses catholiques de descendance française au Québec laissent Patricia pantoise. Les albums de famille sont éloquents et elle constate que l’un de ses ascendants avait sillonné la Pologne sous ses diverses occupations politiques pendant les deux guerres, parlait cinq langues et a atterri à Rhode Island, et subséquemment au nord du Dakota aux États-Unis pour enfin se poser à Drumheller et Calgary au Canada. Un itinéraire de bohème sans roulotte. Patricia Parsons en est enivrée : « Cela procure une immense joie que de dessiner leurs personnalités dans mon imagination ».

Comme disait Alex Haley,
« l’histoire, le plus généralement, est écrite par les vainqueurs ». Ainsi, tous ceux qui ont un jour affronté les périples ardus de longues nuits de recherches seraient non seulement des vainqueurs, mais des héros pour ré-écrire l’histoire avec l’encre de la gratitude…