Bonnet blanc ou blanc bonnet?

Il y a deux façons de voir le geste d’éclat posé par Justin Trudeau la semaine dernière lorsque ce dernier a illico presto évincé les sénateurs libéraux du caucus parlementaire du Parti libéral du Canada. Son annonce soudaine qui a surpris presque tout le monde, à commencer par les premiers intéressés, c’est-à-dire les sénateurs libéraux, est soit un geste purement politique calculé ou une tentative légitime de modifier le fonctionnement de la Chambre haute. Mais comme le cynisme de la population envers la classe politique est à des niveaux records, on peut parier que la plupart n’y verront qu’une manœuvre politique. Peut-on les blâmer ? Pas vraiment.

Justin Trudeau, leader du Parti liberal du Canada. | Photo par Alex Guibord

Justin Trudeau, leader du Parti liberal du Canada. | Photo par Alex Guibord

Car, après tout, avouons que la manœuvre aura une portée limitée et ne changera pas grand-chose à la dynamique au Sénat. C’est parce qu’il ne faut quand même pas oublier que monsieur Trudeau n’a pas d’un coup de baguette magique effacé toute trace de partisanerie profondément ancrée dans le code génétique d’un grand nombre des trente-deux sénateurs expulsés du caucus. C’est une chose de dire qu’ils ne sont plus membres du caucus libéral, c’en est une autre de pouvoir conclure sans équivoque que cela met fin à la partisanerie au Sénat. Pour preuve, les sénateurs touchés par la mesure ont rapidement fait savoir qu’ils formeraient encore l’opposition officielle au Sénat. Qui plus est, on ne peut s’empêcher de voir dans le geste un brin de superficialité lorsque l’on considère que la sympathique bande de sénateurs ne seront plus des sénateurs libéraux, mais des sénateurs libéraux indépendants. C’est bonnet blanc et blanc bonnet.

De toute façon la partisanerie n’est pas nécessairement uniquement une fonction de l’appartenance à un caucus. Elle est grandement influencée par les individus eux-mêmes. À regarder d’un peu plus près qui sont ces sénateurs libéraux indépendants, il n’est pas déraisonnable de penser que les débats musclés alignés sur l’idéologie politique ne seront pas chose du passé. Un grand nombre des sénateurs en question sont des libéraux dans le plus profond de leur être. Militants de longue date, travailleurs acharnés pour la formation politique, on y retrouve d’anciens députés libéraux, un ancien chef de cabinet du Premier ministre Chrétien, de même que son directeur des communications, des bailleurs de fonds de la formation… etc. L’annonce ne change rien à cette réalité.

Comme groupe, ils continueront de barrer la route au Gouvernement Harper et aux conservateurs au Sénat. Ils ont la partisanerie dans le sang, et un changement de désignation par ordonnance du chef ne peut y mettre fin. Pour vraiment démontrer la coupure totale, le chef libéral aurait pu aller plus loin et interdire aux sénateurs en question de participer à toutes les instances du parti comme les évènements de levée de fonds et les congrès.

Mais ce qui désole le plus dans ce geste c’est qu’il contribue à la piètre opinion qu’a le public du Sénat et de ses membres. Par ses commentaires lors de l’annonce de sa décision, il a tenté de faire croire que le Sénat n’est en fait qu’une succursale du bureau du premier ministre. Même s’il faut avouer qu’il y a un brin de vérité, la situation n’est pas aussi dramatique. C’est comme s’il voulait nous faire croire que le Sénat est paralysé et que rien de constructif ne s’y fait en raison des lignes de parti. C’est dommage. Les sénateurs ont maintes fois fait front commun pour présenter des rapports sur des questions très importantes pour la population canadienne. Une simple recherche auprès du Sénat en confirme un nombre impressionnant. Le fait que très peu de personnes ne soient au courant de ceux-ci ne devrait pas nous amener à conclure que le Sénat n’est qu’un cirque d’hyper-partisanerie.