Festival du Film de Victoria : vingt ans déjà !

L’Inconnu du Lac du cinéaste albigeois Alain Guiraudie inédit sur la Côte ouest canadienne. | Photo de Festival du Film de Victoria

L’Inconnu du Lac du cinéaste albigeois Alain Guiraudie inédit sur la Côte ouest canadienne. | Photo de Festival du Film de Victoria

L’année 2014 sera une année de marque pour la ville de Victoria qui célèbre vingt ans de projections exceptionnelles ! A ses débuts, cet évènement cinématographique fut conçu par une coopérative de cinéphiles dont la programmation mettait surtout l’accent sur le court-métrage et le documentaire avec environ une centaine de spectateurs. Deux décennies plus tard, les choses ont bien évolué ! Aujourd’hui, le festival, jusqu’alors un peu trop sous-médiatisé, affiche plus d’une centaine de films et privilégie désormais le long métrage. Le résultat : plus de 24 000 spectateurs.

La directrice du festival depuis 17 ans déjà, Kathy Kay, explique qu’il est primordial de mettre le spotlight sur une sélection internationale de haut calibre, et de présenter aux spectateurs des films qui ont peu de chance de trouver un public hors des réseaux habituels de distribution. D’ailleurs, entre autres oeuvres cinématographiques, on peut relever des films comme Like Father Like Son, du Japon, The Square, de L’Égypte, Il Futuro, de l’Italie ou Aftermath, de la Pologne. Mais l’accent est bien entendu mis sur le cinéma canadien, dans la partie anglophone de la programmation intitulée Canadian Waves, avec projections et ateliers/rencontres avec des invités de marque tels que Atom Egoyan, Guy Maddin et Don Mc Kellar.

Du côté francophone, le choix est tout aussi alléchant. Le Festival rend aussi hommage à la percée fulgurante du cinéma québécois sur la scène internationale. Durant ce festival seront projetés d’excellents cinéastes, des plus connus, tels que Denis Côté et Robert Lepage qui présentent leurs dernières oeuvres, jusqu’à la nouvelle garde comme Jocelyn Langlois et surtout Denis Villeneuve (Incendies, Polytechnique, Maelstrom) dont le nouveau film, Ennemy, une co-producton entre le Canada et l’Espagne tourné en anglais, aura sa première sur la Côte ouest.

Ennemy, qui vient de recevoir pas moins de dix nominations au Canadian Screen Awards 2014, mérite bien qu’on s’y attarde. Tiré d’une nouvelle de José Saramago, le film de Villeneuve, lui-même fraîchement sorti de son grand succès l’été dernier avec Prisoners – plus de 120 millions de recettes – met une fois de plus en vedette Jake Gyllenhall dans cette étrange histoire d’un professeur confronté a son double. Un voyage intérieur énigmatique situé dans un Toronto kafkaesque… Ce film met aussi en vedette l’actrice française Mélanie Laurent.

Crise du Cinéma français ? Vive le cinéma français !

Les trouvailles du côté du cinéma français sont également d’un bon calibre. A l’heure où le légendaire soutien à la création made in France se trouve remis en question en pleine crise économique, la vitalité de son cinéma ne cesse de s’accroître. Selon certains critiques, trop de films considérés au départ « perdants », trop personnels, et peu rentables, dilapident les deniers du gouvernement. A cela s’ajouterait la baisse du nombre de spectateurs pour le cinéma hexagonal et un marché international de plus en plus restreint qui viendraient aggraver ce malaise.

Quel cinéma choisir et quel cinéma faut-il défendre?

Le cinéma d’auteur, pourtant, n’a jamais été aussi riche en Hexagone. La politique de financement de l’État a permis l’éclosion de la « nouvelle vague » dans les années 60 et plus récemment, de fortes signatures comme Léo Carax, Gaspar Noé, Abdellatiff Kechine et François Ozon, dont son Jeune et Jolie a été présenté au Festival international du Film de Vancouver en 2013, qui n’auraient sinon jamais pu voir le jour !

Un autre bel exemple de cette capacité à se renouveler : L’Inconnu du Lac du cinéaste albigeois Alain Guiraudie. Un coup de maître pour le Victoria F-F pour un film encore inédit sur la Côte ouest canadienne et qui a été repéré par le comité de sélection au dernier festival du film de Seattle.

L’angoisse et peut-être la mort Tourné en Haute-Provence, l’action

de ce film se situe dans une crique, au bord d’un lac où se retrouvent durant l’été des homosexuels pour la drague et le sexe facile. Sur cette plage, si le plaisir règne en maître, dans le lac et dans les buissons se cachent l’angoisse…et peut-être la mort. Dans ce conte à la fois lumineux et sombre, Eros et Thanatos se croisent dans une mise en scène savamment construite par un cinéaste visionnaire. Sur un sujet difficile et loin de toutes polémiques, telle la promiscuité sexuelle d’ailleurs explicite dans le film, Guiraudie – qui n’avait jusqu’ici tourné que des moyens métrages – mêle les pistes avec une mise en scène au scalpel et une construction classique d’unité de lieux et de temps où l’érotisme et l’humour rencontrent le « film noir » du cinéma américain des années 50. Ce huis clos écolo baigne dans une ambiance d’esthétisme « naturaliste » et une sensualité qui inquiète et dérange. C’est à la fois une étude sur le culte du moi et la consommation effrénée de la beauté et du sexe, ce qui amène une plus grande portée au sujet. C’est aussi un regard lucide sur la face cachée de l’être humain, superbement interprété par de nouveaux acteurs loin des têtes d’affiche : Pierre Deladonchamps, Christophe Paoux et Patrick D’Assumçao. La relève est déjà là.

Giraudie, un cinéaste singulier et le parfait inconnu ! Mais méfiez-vous de l’eau qui dort !

 

Le Festival du Film de Victoria
7 au 16 février 2014
www.victoriafilmfestival.com