Le paradis des vieux gringos

Mazatlan, maison de vingt-cinq mille résidents étrangers, canadiens et américains | Photo par Pascal Guillon

Mazatlan, oú vivent les vingt-cinq mille résidents étrangers, canadiens et américains | Photo par Pascal Guillon

A Mazatlan, sur la côte ouest du Mexique, il y aurait quelques vingt-cinq mille résidents étrangers, canadiens et américains. Les chiffres précis sont difficiles à obtenir car la plupart de ces étrangers n’ont jamais demandé de permis de résidence permanente. Ils se contentent de venir comme touristes et passent de trois à six mois par an dans leurs résidences secondaires ou louent des appartements meublés pour la durée de leur séjour. A la différence de Puerto Vallarta ou Cancun, Mazatlan n’est pas une ville qui ne vit que du tourisme. Cette ville d’un demi-million d’habitants est avant tout un port de pêche et un port commercial. Sans qu’elle soit entièrement vouée au tourisme, il n’en reste pas moins que les visiteurs, étrangers l’hiver et mexicains l’été, jouent un rôle de plus en plus important dans l’économie régionale. Pourtant, entre 2007 et 2012, les touristes se faisaient moins nombreux car Mazatlan se trouve dans l’État du Sinaloa où les narco-trafiquants se disputaient le contrôle du territoire.

Alors que la guerre des Narcos faisait de nombreuses victimes dans d’autres régions du Sinaloa, Mazatlan n’a jamais été très touchée et les incidents fâcheux impliquant des to-
uristes ont toujours été extrêmement rares. Pourtant, à croire certains médias, on aurait pu avoir l’impression que Mazatlan était devenue une sorte de Damas sur mer où les gilets pare-balle étaient de rigueur. Les choses se sont calmées et les autorités locales organisent une grande opération séduction auprès des gringos à tête grise, car elles sont persuadées que la prospérité de la ville viendra en partie des baby boomers à la retraite. L’année 2014 a débuté avec un forum sur le tourisme qui a rassemblé des représentants du monde politique et du monde des affaires sur le thème : que faire pour attirer plus de Canadiens et d’Américains. Simplifier la procédure d’immigration pour ceux qui veulent s’installer. Alléger la paperasse concernant l’importation d’un véhicule ou l’achat d’une maison. Tout cela est à l’étude, mais déjà, la ville a fait des efforts pour plaire aux gringos, notamment en mettant sur pied une force de police spéciale pour touristes formée de policiers parlant anglais. Le secrétariat du tourisme de l’État de Sinaloa pense que le nombre de ces résidents étrangers va augmenter de 10% par an.

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Il y a des immigrants qui s’intéressent au Mexique et apprennent la langue et l’histoire du pays | Photo par Pascale Guillon

Qui sont ces gringos si convoités? Tony, un Américain qui est marié à une Mexicaine, habite dans le pays depuis une quinzaine d’années et parle couramment espagnol, les place dans trois catégories. Il y a ceux qui s’intéressent au Mexique, apprennent la langue et l’histoire du pays, ont des amis mexicains, vivent ici toute l’année et parfois y ouvre un commerce. Certains font du bénévolat dans des organismes caritatifs. Ils vivent généralement dans la vieille ville historique ou dans d’autres quartiers résidentiels où ils participent à la vie de quartier et entretiennent de bonnes relations avec leurs voisins mexicains. Je remarque que les quelques résidents francophones que j’ai pu rencontrer, qu’ils soient français ou québécois, sont tout à fait dans cette catégorie de résidents étrangers intégrés.

Mais il y a une autre catégorie d’expatriés qui s’intéresse peu au Mexique et s’évertue à reconstituer une communauté canado-américaine sous les tropiques. Il faut bien le dire, c’est cette catégorie qui rassemble l’écrasante majorité des résidents étrangers. La plupart d’entre eux vivent dans la nouvelle zone touristique située à sept kilomètres de la vieille ville. C’est un quartier de grandes tours résidentielles, d’hôtels et de commerces aux noms familiers comme Walmart, Office Depot ou McDonald. Ça ressemble à un petit bout de Los Angeles avec terrains de golf et groupes de bungalows encerclés de murs surmontés de fils barbelés. Certains de ces baby boomers au soleil prennent des cours d’espagnol, sans trop y croire et sans jamais parvenir à maîtriser plus que quelques douzaines de mots. Il faut dire que tous les Mexicains qui travaillent dans ces ghettos dorés parlent anglais, ayant eux-mêmes travaillé aux États-Unis.

« C’est presque toujours la même chose » affirme Tony, « la première année, ils disent avoir trouvé le paradis. Il fait beau, tout est bon marché, les services médicaux sont bons et énormément moins cher qu’aux États-Unis, ils ont découvert la joie des vacances éternelles. »
Mais s’ils ne s’intègrent pas du tout à la vie de leur nouveau pays, ils finissent par découvrir que l’on peut s’ennuyer au paradis. Ils commencent donc à ronchonner, à se plaindre du fait que le Mexique est trop…mexicain. « Les Mexicains conduisent mal, les rues ne sont pas assez propres, les gens font trop de bruit, les fonctionnaires ne parlent pas anglais, les taxis roulent trop vite, les vieux autobus crachent des nuages de fumée noire, on ne trouve pas suffisamment de livres en anglais, c’est trop chaud et humide l’été, pendant le carnaval les fêtards font du bruit toute la nuit… etc. »

Tony souligne qu’il y a une troisième catégorie d’expatriés, minoritaire mais présente dans les villes comme Mazatlan… Les alcooliques. Aux USA ou au Canada, ils n’ont pas les moyens de picoler toute la journée. Au Mexique, ils trouvent un bar bon marché avec une télé branchée sur une chaîne américaine et passent leurs journées à enfiler les bières et les tequilas. Ceux-là au moins ne se plaignent pas, car l’alcool n’est pas cher.

Que pensent les Mexicains de cette nouvelle immigration? Ils constatent que c’est bon pour l’économie régionale et que cela crée des emplois, même si certains se plaignent que ces immigrants font grimper le prix des maisons. Les Mexicains qui ne travaillent pas dans l’industrie touristique n’ont souvent aucun contact avec les gringos à cause de la barrière linguistique. Mais les étrangers qui font l’effort de parler espagnol et qui vivent en dehors du ghetto à gringos découvrent à quel point les Mexicains sont accueillants.