Coup de coeur pour « Coeur de Pierre »

coeur de pierre_Delcourt 2013Il est né avec un coeur de pierre, elle avec un coeur d’artichaut. » C’est par cette intrigante accroche en quatrième de couverture que Gauthier et Almanza nous entraînent dans Coeur de Pierre, un conte romantique doux-amer, entre l’album et la bande dessinée, qui revisite les histoires d’amour traditionnelles en donnant vie à des expressions métaphoriques autour du mot « coeur ». Une histoire « de coeurs » sublime et onirique pour tous les âges, où l’on (re)découvre les joies et douleurs de l’amour… à coeur ouvert.

Une fillette au coeur d’artichaut tombe, dès le premier regard, amoureuse d’un garçon au coeur de pierre et lui offre, littéralement, son coeur. Celui-ci, complètement insensible, la rejette. Mais un troisième personnage, au coeur d’or, vient lui redonner la joie de vivre. Présentée ainsi, cette histoire de coup de foudre à sens unique n’a rien de bien original. Mais c’est la forme qui fait toute la différence et dès la couverture, on pressent une pépite.

F_p10_espace_livreLe conte recèle différents niveaux de lecture qui permettront aux adultes de l’apprécier autant – voire plus – que les jeunes à qui il est originellement destiné. Cela commence par les illustrations à l’aquarelle enchanteresses de Jérémie Almanza, qui sont de véritables oeuvres d’art. Le style onirique rappelle d’emblée celui de Tim Burton, avec ses décors biscornus plein de spirales, ses couleurs vaporeuses, son ambiance feutrée voire macabre et ses personnages torturés. Mais la beauté de l’album réside surtout dans les univers distincts qu’Almanza a développés pour chaque personnage, qui reflètent leur personnalité. Il y a d’abord celui de la fillette au coeur d’artichaut, très coloré et acidulé, où dominent les teintes rosées, résolument tourné vers l’amour et la joie de vivre. A l’opposé, se trouve l’univers sombre et monochrome du garçon au coeur de pierre, émanant la souffrance. La rencontre des deux donne des images d’une force incroyable, aux contrastes étonnants renforcés par le fait que les gammes de couleur ne se mélangent jamais. Au milieu de cela, il ne faut pas oublier le discret garçon au coeur d’or, avec son propre « décor », en clair-obscur, aux jeux de lumière parfaitement maîtrisés dans les tons ocres et ors pour représenter la générosité.

Des images à la symbolique forte, donc, d’une richesse et d’une expressivité telles qu’elles parlent d’elles-mêmes et suffisent à happer le lecteur dans un voyage imaginaire au « coeur » de l’âme et des sentiments loin d’être tout rose. On en oublierait presque l’écriture de Séverine Gauthier, pourtant remarquable de poésie et de délicatesse et elle-même un vrai défi littéraire.

La mécanique du coeur Mathias-Malzieu

La mécanique du coeur Mathias-Malzieu

Sans aucun dialogue, avec seulement un narrateur externe, les textes sont en effet tous en alexandrins et en rimes croisées, ce qui donne une musicalité à l’histoire que tout le monde appréciera. Loin d’être pompeuse ou lourde, cela contribue à cette impression d’évasion dans un autre monde, chimérique et envoûtant. En ce sens, l’écriture et les images se marient parfaitement. Il y a aussi cette idée originale de matérialiser l’amour en prenant au pied de la lettre des expressions idiomatiques métaphoriques : qu’ils soient de pierre, d’artichaut ou d’or, les coeurs deviennent réels et peuvent être palpés, effeuillés, déchirés… ou réparés. On sent ici l’influence du roman La mécanique du coeur de Mathias Malzieu, dont le personnage ne peut tomber amoureux au risque de briser son coeur mécanique. C’est en tout cas une façon poétique et délicate d’aborder, avec les plus jeunes, l’éveil au sentiment amoureux et la douleur de l’amour à sens unique. Et pour les adultes, une occasion de les redécouvrir sous un autre jour !

Un ouvrage coup de coeur, magique et tout en finesse !