Rendez-vous… impromptus

La soirée d'ouverture de cette année du Rendez-vous du cinéma québécois et francophone. | Photo par Denis Bouvier

La soirée d’ouverture de cette année du Rendez-vous du cinéma québécois et francophone. | Photo par Denis Bouvier

Deux jeunes Québécois de passage me demandaient comment c’était que de vivre en milieu minoritaire pour un francophone issu de milieu majoritaire, mais installé ici depuis longtemps. Les charmes de la Côte Ouest les avaient sans doute incités à envisager le scénario que je considérais près de 30 ans plus tôt après plusieurs visites et un séjour de quelques années en Alberta. Les deux visiteurs me demandaient également comment la « communauté » francophone du Grand Vancouver se portait…

Content de m’exprimer en français, j’aurais pourtant dû pouvoir répondre adéquatement, me préoccupant du sujet depuis longtemps. Les habitués de mon franc-parler seront surpris d’apprendre que je me suis défilé en passant rapidement à un sujet plus léger par cette belle journée de printemps en ski de bosses à Whistler. D’une part, je ne crois pas qu’ils étaient prêts à entendre ma réponse et d’autre part, je n’étais aucunement prêt à la partager. Le « non-dit » me suffisait ce matin-là mais allait me hanter, la question posée étant bien légitime.

Oui j’aurais pu parler de nos « services en français », d’écoles, de garderies, de scène théâtrale, d’arts et spectacles, de médias, de petits regroupements francos et enfin du magnifique soutien de nos amis francophiles. J’aurais pu reprendre le langage de nos porte-parole qui aspirent à vivre complètement en français. Comme si s’enfermer dans un ghetto linguistique pouvait être désirable, tels certains secteurs jadis dans le West Island de Montréal…

Non je ne voulais pas les mettre en garde devant les difficultés que « Vivre en milieu minoritaire » représentent lorsque la plupart de ses amis, collègues de travail, ou voisins vivent à peu près exclusivement en anglais et baragouinent à peine le français. Je ne voulais pas non plus parler de la langue de préférence utilisée par la prochaine génération, les entrepreneurs, les créateurs et les nouveaux arrivants francophones tous désireux de maitriser l’anglais au plus vite, sauf quelques exceptions capables de se maintenir en expats avec peu d’attache locale. Difficile aussi de parler de « communauté » dans une grande métropole lorsque le coût de la vie, l’étalement urbain, l’individualisme, l’institutionnalisation, la démographie marginale ainsi que la bigarrure des origines linguistiques et culturelles représentent tous autant d’éléments d’aliénation. Oh, j’oubliais le peu d’air économique francophone respirable. Il n’y a pas à s’étonner si nos espaces publics francophones sont mal occupés et s’y investir si difficile. La sphère privée francophone devient alors toutefois tellement précieuse, l’expérience, si personnelle, et le non-dit, vital pour garder la raison, ce que je pratiquais ce matin-là.

En rétrospective, le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ? Ou encore y-a-t-il verre à comparer lorsque la grille de comparaison du milieu majoritaire pour laquelle nous sommes conditionnés est tellement différente pour le milieu minoritaire ? Y vivre est une expérience précieuse, difficile à partager, sinon à apprécier justement.

Alexandre Bilodeau| par miss604 CC BY NC SA 2.0

Alexandre Bilodeau| par miss604 CC BY NC SA 2.0

Aurais-je dû mentionner que ces deux visiteurs habillés comme tout autre jeune ce jour-là étaient membres de l’équipe canadienne de ski de bosses en entraînement, tel que je l’apprenais à la sortie du remonte-pente. L’un d’eux était l’illustre Alexandre Bilodeau, pas reconnu sous son casque. Celui qui triomphait de nouveau à Sotchi deux ans après ce rendez-vous impromptu. La journée suivante, le Canada se retrouvait en tête du classement grâce à de nouvelles médailles d’athlètes québécois. J’assistais comme par hasard ce soir-là à un Rendez-Vous du cinéma dans un magnifique auditorium pour le programme double de nostalgie Il était une fois les Boys et Yukon parle français. Trop peu de spectateurs s’y sont hélas présentés malgré le travail colossal, la persévérance et le courage de Lorraine et Régis œuvrant avec amour et dévotion, année après année, cela sans médaille. Pour ne pas perdre la raison, j’ai dû puiser en fin de soirée dans une source québécoise country-alt* pour finalement répondre à la question initialement posée par mes visiteurs. Ils n’auraient toutefois pas compris, même si nous partageons la même langue. Bon, allez donc justement apprécier ces Rendez-Vous… impromptus en mars !

* « Quand l’amour sort vainqueur, faut faire du bruit, je crank my chainsaw pour tailler les mots que je veux t’offrir » Tire le coyote, Chainsaw (2012).

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