Le Komagata Maru livre ses images

Les passagers du Komagata Maru ne débarqueront jamais au Canada. | Photo de Naveen Gir

Les passagers du Komagata Maru ne débarqueront jamais au Canada. | Photo de Naveen Girn

C’est une plaie qui ne s’est pas totalement refermée. En ce 23 mai 1914, le Komagata Maru, navire à vapeur japonais, accoste la baie de Burrard avec 376 passagers à son bord. La polémique ne tardera pas à naître : ceux-ci sont secoués, non par les vagues, mais par un traitement bafouant les droits de l’Homme ! Ils sont victimes du Asian Exclusion Act qui interdisait l’accès à tout navire arrivant par un détour de leur pays d’origine. Le navire avait en effet embarqué de Hong Kong ! Un siècle après, les souvenirs sont intacts dans le cœur des descendants de cette communauté issue de l’Asie du Sud. Pour commémorer l’événement, le Musée de Surrey revisite cette épopée à travers une exposition qui a débuté le 11 février dernier et qui se poursuit jusqu’au 12 juillet prochain.

L’exposition, qui brise le silence ininterrompu depuis un siècle, invite à la réflexion. Aller au cœur de ce triste événement est important non seulement pour les descendants des passagers, mais également pour la mémoire collective. Sur les quatre écrans LCD, collés au mur du fond de la salle du musée de Cloverdale, défilent des images d’archives entrecoupées de reportages. Les témoignages sont poignants et relatés par les familles des passagers refoulés du sol canadien.

C’est la recomposition d’un chapitre des plus noirs de l’histoire canadienne de l’été 1914. C’est aussi une lutte longue et ardue qui va changer le cours de l’histoire, pour arriver à bâtir un pays où toutes les ethnies et cultures auraient leur place à part égale. Le dialogue permet d’ouvrir la voie de la cicatrisation. Pour retenir les leçons, il faut s’en souvenir ! Jasbir Sandhu, député de Surrey abonde en ce sens : « Il est spécialement important pour les jeunes de prendre conscience des erreurs du passé, car cela permet de s’orienter vers une société plus juste, où les différences sont appréciées. Cela démontre la maturité et la grandeur d’esprit acquises par la société de condamner de tels incidents et de s’assurer qu’ils ne se reproduisent plus dans le futur. Des excuses formelles à la Chambre des communes permettraient de faire le deuil de cet épisode. Ce serait dans le même esprit que celui des immigrants de Chine, du Japon et des Premières Nations. »

Autre époque... des citoyens britanniques de seconde zone. | Photo de Naveen Girn

Autre époque… des citoyens britanniques de seconde zone. | Photo de Naveen Girn

Le monde est ô combien petit !

Pour Naveendar Girn, conservateur de l’exposition, l’épisode du Komagata Maru n’est pas seulement une histoire datant de 1914 mais celle de 2014 : « C’est un héritage vivant qui s’applique à toutes les communautés». Le musée du World BC dispose, en effet, de surprenants vestiges historiques. En ouvrant les archives, on tombe sur des comptes rendus de première main. Ceux-ci amènent à des découvertes hallucinantes ! Jugez plutôt : Frederick Wellington Taylor, surnommé « Cyclone » Taylor, membre élite du Vancouver Millionnaires, l’équipe de hockey la plus prestigieuse à l’époque, avait travaillé cet été-là comme officier d’immigration. C’est donc lui qui monta en premier à bord du navire et qui refusa l’accès à terre aux passagers !

Puran Singh Janetpura fut l’un des passagers à bord. Il n’avait que vingt ans et venait au Canada pour poursuivre des études universitaires. Issu d’une noble famille d’intellectuels, il sera traumatisé et meurtri par cette expérience et refusera catégoriquement de remettre les pieds sur le territoire canadien. Jaswinder Singh Toor, son petit-fils, relate avec beaucoup de détails cet épisode douloureux : « Tous les passagers étaient en règle et détenaient un passeport britannique. Ils avaient aussi réglé les taxes de 200 dollars par personne. Le Canada était sous la juridiction britannique. L’accès leur fut refusé sous pression de la majorité de la population qui tenait à ce que le Canada préserve une monoculture. »

Quand le silence parle…

Le Komagata Maru remet le cap sur l’Inde le 23 juillet 1914. Les passagers auront passé deux mois à bord du navire, sans nourriture, ni eau potable ni médicaments mais vêtus de leurs costumes trois-pièces et de leurs turbans. Le voyage aura duré six mois au total. Toutefois, à peine débarqués à Calcutta, la police ouvre le feu sur eux. Les consignes avaient été relayées jusqu’à Calcutta. Vingt personnes y laissent la vie, de nombreux blessés sont à déplorer et les autres sont emprisonnés pendant une période de trois à cinq ans. A leur sortie de prison, ils sont gardés sous surveillance pendant de longues années et leurs terres confisquées ! « Ce fut un acte d’intimidation, afin de les forcer au silence » clame Jaswinder Singh Toor. Les représailles ne prendront fin qu’en 1947, lors de l’indépendance de l’Inde vis à vis du Royaume-Uni.

Puran Singh Janetpura et les survivants de cet épisode ont repris leur destin en main. Ils lèguent en héritage une leçon : il ne faut jamais baisser les bras devant l’adversité. Puran Singh Janetpura dira sans cesse à sa famille: « On peut tout vous prendre, mais si vous possédez l’instruction et la connaissance, vous pouvez aspirer à une place au soleil, n’importe où dans le monde. » Un message que ses enfants et ses petits-enfants auront retenu au mot. Jaswinder Singh Toor conclut: « Mon grand-père disait aussi que les passagers du Komagata Maru ont ouvert la porte du Canada en revendiquant leurs droits, afin qu’un jour tous les enfants de l’Asie du Sud puissent y aller et jouer un rôle dans la construction de ce pays. » Une prophétie qui s’est concrétisée ! Qui l’aurait cru il y a un siècle de cela ?