L’Hôtel Chelsea : un lieu hanté par les fantômes d’hier

Photo de Firehall Arts Centre

Photo de Firehall Arts Centre

Un hôtel. Quoi de plus banal ? Un lieu de passage comme la plupart entre deux destinations, rien qu’une étape au long d’un voyage dont le parcours est déjà tracé. Pour d’autres, cependant, un hôtel peut devenir un centre de vie, une demeure qui abrite des chapîtres inoubliables de leur existence, une sorte de leitmotiv rempli de souvenirs parfois réels mais aussi souvent imaginaires… L’Hôtel Chelsea à Manhattan est un de ces lieux mythiques où la fiction peut rivaliser la réalité… Construit entre 1883 et 1885, cet édifice catégorisé de Gothique Victorien devint vite une destination et un oasis abritant les plus grands noms de l’art et de la culture fin XIXe d’abord avec Mark Twain pour se poursuivre bien au-delà du XXe !

Situé dans un quartier proche de Greenwich Village, marqué par une architecture plus européenne avec ses rues sinueuses en pierres, cet hôtel inspirait d’emblée un esprit créatif, libertaire et bohème qui n’échappera pas au regard des plus grands artistes de ce siècle.

Des années 50 aux années 80 : les décennies prodigieuses

Ce sera pourtant à partir des années d’après-guerre que l’Hôtel Chelsea commencera à cimenter sa légende. La migration des artistes américains et européens à la recherche d’un lieu fertile et bon marché sera le refuge de la Beat Generation, suivie par les flower children, puis les hard rockers… et finalement… les snobs ! Le Chelsea devint au cours du temps le symbole d’une certaine manière de vivre, de penser et de créer. La liste est exhaustive mais vaut bien qu’on s’y attarde car elle est à la source de la légende de cet hôtel. Y défilent pêle-mêle des écrivains phares tels que Arthur Miller, Dylan Thomas, Bukowski, Allen Ginsberg, Gore Vidal, Tennesse Williams, Jack Kerouac qui y écrivit son classique On the Road, et Arthur C. Clarke d’où naquit son 2001, une Odyssée de l’espace… sans oublier Sartre et de Beauvoir !

Du côté des arts : Frida Khalo et Diego Rivera, Pollock, Christo, Francisco Clemente, Julian Schnabel, De Kooning, Mapplethorpe et Cartier-Bresson. Du côté théâtre et cinéma : Sarah Bernhard, Stanley Kubrick, Jane Fonda et Andy Warhol qui s’en inspira pour son film Chelsea Girl.

Du côté de la musique, la liste est tout aussi prestigieuse: Jimmy Hendrix, Jim Morrison, Patti Smith, Edith Piaf, Madonna, Iggy Pop, le punk Syd Vicious, Janis Joplin… et Leonard Cohen !

Leonard Cohen ou la nostalgie sera toujours ce qu’elle était

La notoriété de cet hôtel attira vite l’attention d’un jeune parolier, écrivain et poète juif né en 1934 à Westmount, quartier bourgeois anglophone de Montréal, à la fin des années 60 : Leonard Cohen, qui chante des thèmes aussi divers que la complexité des choses de l’amour et du sexe, de la solitude et de l’isolation, de la politique et de la spiritualité, y trouvera un terrain fertile pour y éclore son art. Homme de la Renaissance nourri d’influences littéraires aussi diverses que Yeats, Walt Whitman, Garcia Lorca et Henry Miller, ses chansons sont à l’image de poèmes liturgiques à la fois sacrés et profanes. Créa-
teur tour à tour fascinant et énigmatique, Cohen, avec sa voix suave et grave, mélange un pessimisme profond avec un romantisme incurable. Doublé d’un homme à femmes torturé par les contradictions entre l’amour et l’érotisme, son œuvre est traversée par une rage intérieure doublée d’une sage résignation, il vit son œuvre comme une blessure guérie par le temps, mais jamais cicatrisée. Les chansons de Cohen visent une transcendance inaccessible, une sorte d’examen de conscience sur l’impossibilité d’aimer et d’être aimé, car en fin de compte tout se terminera
en échec.

Chelsea Hotel : The Musical. Take a walk on the wild side

La comédie musicale que nous présente le théâtre Firehall prends son titre d’un texte phare de cette période de la vie artistique. La pièce est librement inspirée par la chanson Chelsea Hotel 1 & 2, récit d’une courte relation plus charnelle que romantique entre Cohen et Joplin un an avant le tragique décès de cette dernière à la suite d’une surdose. Tracey Power a conçu et mis en scène un spectacle qui rend hommage à la fois à ce lieu et à son compositeur fétiche. La pièce est composée d’une succession de morceaux musicaux et de poèmes créés pour la circonstance. Elle y introduit une structure dramatique autour de personnages réels ou fictifs.. mais tout droit sortis de la légende du Chelsea. L’histoire est simple : un écrivain, qui n’est pourtant pas Cohen, un rôle interprété par Adrian Glynn McMorran, est atteint d’un writer’s block. Enfermé dans une chambre d’hôtel, il se retourne vers son passé et les personnages de ses écrits, afin d’exorciser ses démons intérieurs et peut-être retrouver sa source d’inspiration.

Un décor de manuscrits froissés

La réminiscence des amours passés se fera sur scène au moyen de diverses compositions musicales de Cohen telles que Suzanne, I am your man, Tonight will be fine, revues et adaptées souvent fort librement par Tracy Power. La mise en scène se situe à mi-chemin entre le cabaret et le théâtre, ce qui fut un défi pour les 6 acteurs de la pièce qui doivent manier aussi bien une présence théâtrale que la possibilité de jouer divers instruments, du piano à l’accordéon. Tout en chantant.

Selon Ben Elliott, qui incarne Bellhop, l’un des personnages de la pièce, le résultat final peut être interprété différemment par chaque spectateur. Cet acteur qui fit ses débuts au Studio 58 ajoute une belle dose d’humour à cette plongée dans la nostalgie et la mélancolie. Steve Charles, le directeur musical et un trio de talents féminins, Rachel Aberle, Lauren Bowler et Marlene Ginader incarnent les fantômes du passé et les amours d’antan, mais aussi l’impossibilité d’un nouvel amour naissant.

« It’s written on the wall of this hotel, you go to heaven, once you’ve been to hell » écrivait Leonard Cohen. L’ironie de tout cela : il n’a peut-être jamais vu cet hommage qu’on lui rend, les droits ayant été obtenus par l’organisme de diffusion canadien SoCan. Peut-être aussi que le moine qu’il est devenu depuis « Jikan » de son nom qui signifie « le silencieux », s’est finalement éclipsé.

Quant au Chelsea Hotel : fermé depuis l’an 2011 pour cause de réparations.

Mais au bout du compte « There is no cure for love. »

Chelsea Hotel nous revient après une tournée triomphale dans l’Ouest canadien.

 

Chelsea Hotel – The Songs of Leonard Cohen
Firehall Arts Centre
18 au 29 mars
www.firehallartscentre.ca