Babak Golkar : « Time To Let Go » L’art descend dans la rue à Vancouver

Babak Golkar, Time to Let Go, 2014 Urne en terracotta. | Photo de Babak Golkar

Babak Golkar, Time to Let Go, 2014 Urne en terracotta. | Photo de Babak Golkar

L’exposition de l’artiste américano-iranien Babak Golkar Time To Let Go, qui débute fin avril sur le site Off Site du Musée des Beaux-Arts de Vancouver, promet d’être un des « à voir » d’une saison culturelle qui s’annonce fort prometteuse. Cette année l’art envahit la rue, d’abord avec l’installation de Golkar, mais aussi avec le retour cet été de la Biennale de Vancouver qui propose comme auparavant certains des plus grands noms de l’art contemporain international. A noter également l’engouement du grand public vancouvérois pour ces formes de public art comme on a pu le constater avec l’énorme succès de la surprenante installation de l’artiste Janet Echelman durant la récente conférence TED à Vancouver en mars dernier.

Rendre l’art au public c’est aussi l’objectif du Off Site du musée qui depuis 2009, avec le soutien de la ville de Vancouver, offre des expositions alternant entre la photographie, la sculpture, l’installation d’art et la vidéo. Le but : inspirer et présenter des oeuvres d’art dans un contexte décidément urbain, touchant à des sujets qui confrontent un large public aux conditions culturelles actuelles du monde moderne. Avec cette exposition conçue par la conservatrice du musée, Diana Freindl, on ne pouvait mieux choisir !

L’art à la croisée des chemins

Premier arrêt : Babak Golkar. Cet artiste de 37 ans, né a Berkeley en Californie en 1977 de parents iraniens, a grandi en Iran durant sa jeunesse. Jeune témoin de la chute du shah, de l’Iran post-révolution, suivi de huit années de guerre avec l’Irak, cette suite d’événements va certainement laisser en lui une cicatrice profonde. Il est ensuite venu au Canada où il a obtenu son diplôme en beaux-arts et en arts visuels à l’Université Emily Carr en 2003. Une maîtrise à l’Université de la Colombie-Britannique conclut ses études pédagogiques. Depuis 1996 il vit entre Vancouver et Téhéran…. ou sur Skype ! Ses oeuvres ont déjà été exposées ou le seront très prochainement, entre autres, à la Galerie Charles H. Scott pour Grounds for Standing and Understanding, au musée des Beaux-Arts de West Vancouver pour Dialectic of Failure, à venir à la 9e édition de la Biennale de Montréal, à la Fondation Boghossian à Bruxelles-Villa Empain, et à la Galerie Sazman Ab à Téhéran.

Ce vaste territoire géographique entre Occident et Orient tel que vécu par Golkar, semble être à la source de son oeuvre. Navigant entre espace et temps, entre cultures et sociétés, la vision de Babak Golkar semble
« négocier » un espace difficile entre des territoires à première vue contraires de l’histoire, de la politique, des traditions et des religions.

Exorciser nos contradictions modernes

L’exposition, dont les composantes sont sous le sceau de la confidentialité au moment de l’impression, se compose de 5 larges vases (ou amphores) de 6 pouces chacun en terracotta montés sur des sacs de sable sur une mince couche d’eau, comme pour évoquer une impression de désastre écologique… Ces pièces, les screaming pots comme l’artiste les décrit, sont conçues pour recueillir un cri humain, l’écho obtenu offrant au participant une occasion unique et inusitée de défoulement qui sort tout droit du coeur !
Son installation se transforme dès lors en un pur acte de libération des excès et des anxietés accumulés dans notre vie quotidienne. Appelons l’exercice un acte interactif qui invite tout autant à la participation qu’à la réflexion.

De même pour le récent essai de la jounaliste/éditrice Arianna Huffington qui dans son récent livre Thrive aborde le sujet de l’aliénation de l’homme occidental contemporain, à la recherche d’un équilibre que nous semblons avoir perdu. Notre société occidentale est à bout de souffle, ayant créé un modèle de vie qui, question de survie, se doit d’être remis en question.

L’exil intérieur d’un promeneur solitiaire

Mais ce qui fait l’originalité de l’oeuvre de Babak Golkar, c’est de jeter un regard et nous présenter un miroir sur nos perceptions de différentes cultures et civilisations, trop souvent perçues comme opposées et même antagonistes. En explorant les possibilités de compromis et de dialogues entre les apparentes dichotomies des valeurs occidentales et islamiques il utilise un « vocabulaire conceptuel » où tout est codes et références… Une expression artistique qui est à la fois une recherche sur les concepts de l’espace, du lieu et du temps confrontés aux exigences de la vie contemporaine. Tout comme une exposition précédente au musée des Beaux-arts de West Vancouver intitulée Dialectic of Failure, Golkar s’interroge sur l’impalpable sujet du compromis et sur le rapprochement difficile entre les dichotomies socio-économiques, politiques et religieuses entre les peuples afin de retrouver ces éternelles vérités qui nous unissent tous. Son inspiration retrouve ses sources dans les écrits de Flaubert, et même de Jean-Jacques Rousseau et la philosophie du « flâneur »
ce vagabond qui explore son monde et le décrit en simple observateur tel qu’il le voit au travers de ses randonnées autour du monde.

L’histoire et la modernité en plein coeur du paysage urbain

Pour l’artiste, le contexte est primordial. En plaçant ses urnes en terracotta en plein coeur du centre-ville, Babak Golkar, en artiste multi-disciplinaire, mêle savamment les « arts et artisanats » à la raison cartésienne de notre monde moderne, tout en y insufflant une subtile dose de mysticisme traditionnel. L’exercice final se traduit par une révision sur la nature et les infinies possibilités de l’expression artistique. En examinant et par la suite en mélangeant nos idées préconçues des matières, des formes et des éléments, son art atteint une nouvelle dimension, offrant à la fois un regard vers le passé et les mutations et possibilités du discours artistique.

Parfaitement situé dans le Off Site du Vancouver Art Gallery, paradoxalement un lieu « caché » et « à part » pourtant à ciel ouvert, les formes sévères et géométriques de l’architecture de gratte-ciel modernistes rencontrent les cultures et les sagesses du passé venues d’ailleurs. Cette exposition est avant tout une expérience d’une grande « physicalité » qui prétend à la fois nous forcer à confronter nos sédiments émotionnels et psychiques et à nous en libérer. Au bout du compte il y rencontre l’Homo sapiens primal enfermé dans un habit trop civilisé de comportements rationnels. L’effet final rejoint le « fantastique », en désorientant le spectateur par l’utilisation de l’espace et d’illusions d’optique, comme le souligne fort bien le titre de cette exposition.

La Révolution tranquille de Babak Golkar

En tant qu’artiste « touche à tout », Golkar s’intéresse ici à la vulnérabilité et à la « sensibilité » de la matière, dans ce cas la céramique, si chère à sa culture orientale. L’évolution, la résilience et l’universalité de cette matière à travers les âges et les cultures devient la force de l’expression personnelle de cette exposition. Retrouvant les sources de son apprentissage d’artiste, cette exposition est pour lui une expérience pratique, un moyen de négocier entre ces deux continents et leurs obsessions idéologiques et absolutistes, donc une recherche intense du sens de l’identification. L’artiste nous propose la considération d’un changement profond en évaluant avec lucidité l’état du monde actuel, engouffré dans un cycle interminable de conflits. Tout comme la matière utilisée pour cette exposition, un ralentissement collectif s’impose, tant au niveau politique, économique que social.

Pour Babak Golkar, un nomade d’esprit, l’idéologie individualiste est une voie sans issue. La collectivité est peut-être notre ultime issue de secours.

Time to Let Go
Du 25 avril au 28 septembre
Off Site du Musée des
Beaux-Arts de Vancouver
1100 rue Georgia Ouest
A l’angle de Georgia et Thurlow Site Hotel Shangri-La.
Vernissage ouvert au public le jeudi 24 avril à 18h, avec présentation de l’artiste