Kathryn Gwun-Yeen Lennon, la poésie au cœur de la communauté

Un souvenir, des sensations, une idée puis des mots surgissent pour se coucher sur le papier. L’écriture, un langage propre à chaque culture, reflet de son histoire, de son évolution, un passé imprimé à jamais dans les mémoires.

Travailler… sur les racines

A travers ses origines irlandaise et cantonaise, Kathryn Gwun-Yeen Lennon reconnait la nécessité de relier l’histoire au présent. Sa mère, professeur de cantonais, est née dans petit village au sud de la Chine où l’on pense encore aujourd’hui que les femmes n’ont pas grande importance dans la société. Elle poursuit ses études au Canada, évitant ainsi cet avenir tout tracé de secrétaire qui l’attendait à Hong Kong. Quant à son père, ses ancêtres ont fui l’Irlande lors de La Grande Famine de 1867 pour s’installer comme fermiers en Ontario.

Kathryn Gwun-Yeen Lennon, artiste engagée⎜Photo par Chris Chang-Yen Phillips

Kathryn Gwun-Yeen Lennon, artiste engagée⎜Photo par Chris Chang-Yen Phillips

Même si sa famille ne compte aucun artiste, les parents de Kathryn l’ont toujours poussée dans cette voie, persuadés des bienfaits que l’art apporte au sein d’une communauté. Enfant, elle choisit la musique et suit des cours d’orgue et de flûte. Ses premiers essais à l’écriture et plus particulièrement la poésie surviennent plus tard même si elle avoue avoir tenu un journal depuis toujours. Journal qu’elle emportera dans ses nombreux voyages, comme celui en Inde où elle a passé deux années au Mahindra United World College. Elle fait sa première expérience de la scène au sein d’un groupe de jazz composé de musiciens venant des quatre coins du monde. Cette facette multiculturelle contribue d’ailleurs bien plus au succès du groupe que leurs propres compositions.

Vernissage de l’exposition M’goi/ Do Jeh : Sites, Rites and Gratitudes au Centre A⎜Photo par Chris Chang-Yen Phillips

Vernissage de l’exposition M’goi/ Do Jeh : Sites, Rites and Gratitudes au Centre A⎜Photo par Chris Chang-Yen Phillips

Travailler… sur les mots

Lors d’un second voyage, en Amérique latine, elle se rapproche de sa future passion. Professeur bénévole au Paraguay, elle donne des cours de conversation en anglais, en appuyant sur le sens et la prononciation des mots. Puis, après avoir parcouru une bonne partie de l’Amérique du Sud, elle rentre au Canada où elle entame un cours universitaire sur l’environnement en Ontario. C’est là qu’elle participe à ses premiers cours d’écriture qui lui offriront sa première scène de spoken word, cette forme de poésie scandée en public.

« Savoir que tu as une voix et qu’avec cette voix, tu peux dire des choses utiles et précieuses aux gens qui t’écoutent, cela te rend forte. C’est une chose d’écrire un poème sur papier mais c’en est une autre de l’interpréter sur scène, sentir le public réagir et te questionner ensuite. C’est très fort comme expérience, tout comme les conteurs d’autrefois ».

En 2012, elle intègre la Slam Poetry Team d’Edmonton puis participe au Spoken Word Festival de Saskatoon et de Victoria. Sa voix est lancée.

Elle écrit des pages de mots issus d’émotions et d’histoires personnelles puis les couche sous forme de poèmes sur la Toile pour les offrir au monde.

Même si certains de ses écrits comprennent des parties chantées (Dragons might have been here), le fait de les interpréter dans un registre de poésie la met en confiance. Elle avoue à demi-mot son rêve d’être chanteuse, mais garde ce projet pour plus tard… peut-être. Car finalement le pas entre chanson et poésie peut très vite être franchi… une simple histoire de notes de musique en plus.

Dans l’art du spoken word le rythme et les accents mettent en avant la singularité du message, ce n’est ni un simple poème ni vraiment une chanson : « le rythme et les sons t’aident à créer une structure tout comme la répétition, quelque chose d’emprunté aux conteurs, parce que si tu ne fais qu’écouter, répéter le même mot t’aide à suivre et comprendre ». Son courant résonne comme une chanson de jazz. La musique n’est jamais bien loin.

Ses sujets de prédilection ? L’environnement, la nourriture, les histoires familiales. Kathryn explique que « l’Histoire m’intéresse tellement parce que je pense, et tout particulièrement au Canada, que l’on n’est pas toujours tous acceptés, et donc la raison pour laquelle ma propre histoire m’intéresse, c’est tout simplement pour comprendre comment mes ancêtres sont reliés au Canada. »

Sans reconnaitre et digérer le passé, on ne peut comprendre le présent et encore moins imaginer l’avenir. En tant qu’artiste, elle s’engage pleinement dans ce processus : dénouer le passé pour mieux avancer ensemble. « A l’école on nous parle beaucoup des Anglais et des Français qui ont façonné le pays, mais nous avons besoin d’entendre l’histoire des Canadiens chinois aussi ! Les autres cultures ont coloré le pays. »

Transmettre l’esprit de la communauté

Étudiante en urbanisme à l’UBC depuis son arrivée à Vancouver il y a huit mois, Kathryn Lennon s’investit au niveau local et plus particulièrement à Chinatown. Ce quartier est en pleine transformation, des boutiques ferment et laissent petit à petit place à de nouveaux magasins, plus ou moins dans l’esprit du quartier. Mais toute sa force réside dans sa communauté qui se soutient et s’entraide. C’est dans cette logique que Kathryn prend part au projet Ho Sun Hing Print Shop. Cette imprimerie chinoise n’a pas retrouvé preneur et a dû fermer ses portes le mois dernier après plus de cent ans d’existence. Les caractères en fonte qu’elle fabriquait et qui composent l’alphabet chinois, risquaient fortement de se retrouver dispersés chez divers collectionneurs ou particuliers.

Les membres de ce projet, dont Lydia Kwa, également poète, ont récolté des fonds afin de récupérer une partie de ce trésor. Le but étant d’abord de le garder au sein de Chinatown pour pouvoir ensuite être utilisé dans un nouveau lieu, une imprimerie communautaire, un espace artistique où cet alphabet pourra donner lieu à des ateliers, et de beaux moments de partage avec les jeunes et les moins jeunes.

Suite à ce projet, Kathryn a été contactée par le Centre A, une galerie d’art installée récemment dans Chinatown, afin d’organiser des cours de cantonais dans le cadre de l’exposition M’Goi / Do Jeh: Sites, Rites and Gratitude. La poète Lydia Kwa présente quant à elle une série de ses travaux réalisés sur papier à l’aide des tampons de l’imprimerie. Une façon de transmettre aux nouvelles générations ce passé qui s’effrite peu à peu, et remercier ceux sans qui ce savoir n’aurait pas existé.

M’Goi / Do Jeh:Sites, Rites and Gratitude
Jusqu’au 14 juin
La galerie Centre A
Lecture de poésie par Kathryn Gwun-Yeen Lennon et Lydia Kwa le 17 mai à la galerie Centre A
Les poèmes de Kathryn Gwun-Yeen Lennon :

www.kathryngylennon.wordpress.com