« Mother Tongue » ou… la Danse des mots

Quoi qu’il arrive, personne ne peut vous prendre les danses que vous avez déjà dansées ! » disait l’écrivain Gabriel García Márquez. Wild Excursions Performance se serait-il inspiré de cet adage pour immortaliser à travers la danse, Mother Tongue sur les planches du Scotiabank Dance Centre à Vancouver, du 14 au 18 mai 2014 ?

Cette pièce de théâtre, mise en scène et dirigée par Conrad Alexandrowicz, est brodée autour des œuvres de deux éminentes poétes : Erin Mouré et Lorna Crozier. Elle met en lumière la pertinence de la dimension poétique autour de ces deux ouvrages qui se rejoignent par la force des mouvements et qui rallient deux univers intrinsèques à l’humanité. L’œuvre d’Erin Mouré our verges <borders> explore les thématiques de la famille et trace le synopsis vers un pays qui a souffert de déchirements interethniques.

Un monologue écrit avec des épines de hérissons

Erin Mouré, de souche ukrainienne, décortique le langage pour en extraire la moelle au cœur des mots. Le titre de son dernier livre Unmemntioable est intentionnellement mal orthographié. C’est sa façon de souligner que des conclusions sont supprimées dans certaines histoires. La poéte dissèque le passé avec des mots brisés. Son langage est cru, baroque, comme celui d’une dilettante. Sa poésie n’est qu’une fresque vivante ! Le noyau de son récit se situe autour d’une promesse faite à sa mère de disperser ses cendres après sa mort en Ukraine, son pays natal, qui fut déchiré par la Première Guerre mondiale. Erin Mouré remonte le temps pour percer le mystère autour des origines de sa famille. Elle dévoile : « Ma mère répétait souvent qu’il y a des personnes, comme elle, qui viennent de nulle part. Elle faisait allusion à la répression des Soviétiques et les conflits autour de la création de la Pologne en 1922. »

our verges <borders> enchaîne comme sur des lignes de symétrie avec The Poet’s Dream (le rêve du poète), l’œuvre de Lorna Crozier. Ce deuxième scénario s’ouvre sur un esthétisme différent. La fusion de ces deux approches n’est qu’une confluence de deux flots de poésie. Lorna Crozier concocte un univers surnaturel avec des éléments liés au monde des anges et des personnages imaginaires. Elle s’interroge sur la vie, la mort et l’au-delà, et se livre à une incursion dans les songes et les lois qui façonnent le psychisme humain…

Kaitlin Williams, Brahm Taylor, Peter Anderson dans Mother Tongue. | Photo par Tim Matheson

Kaitlin Williams, Brahm Taylor, Peter Anderson dans Mother Tongue. | Photo par Tim Matheson

Le synchronisme dans l’interprétation des acteurs et les gestes sont autant de facteurs subtils qui ajoutent à la magie du jeu. Si les deux pièces sont sombres, elles portent néanmoins vers l’espoir. Erin Mouré se confie : « En dispersant les cendres de ma mère, je n’enterrais pas le passé mais je m’accrochais au présent. » Comme si les cendres allaient nourrir le terroir pour faire pousser des fleurs. Un symbolisme du futur auquel sa mère tenait tant. Elle poursuit : « Je percevais des choses dans la nature et dans les gens autour de moi, susceptibles d’éveiller ma curiosité. Une découverte bouleversante ! Ma mère m’a légué le plus beau cadeau : celui de mon identité – des assises pour consolider mon présent et une direction vers le futur. »

Et la parole a été faite chair…

L’élocution des acteurs se joint à l’improvisation des danseurs. Une synthèse de mots qui voltigent et qui sont rattrapés au vol par les danseurs. Ces derniers hument la force des paroles, qui pénètrent leurs muscles. C’est l’éveil des sens ! Par leurs mouvements, ils simulent des patries déchiquetées par les guerres. Ils palpent la froideur des corps tombés pendant les génocides, et le goût triste et amer des souvenirs du passé. Erin Mouré se livre : « Cela rappelle la lutte à laquelle fait face l’humanité pour coexister dans la société, des événements qui sont encore d’actualité aujourd’hui. »

Mother Tongue transforme la scène en plaques tectoniques. Les mouvements des artistes submergent les spectateurs comme des vagues de tsunamis. L’audience est impliquée et ne fait qu’un avec les artistes. Elle est happée par la force de l’interprétation. La musique de our verges <borders> est signée Andreas Kahre tandis que The Poet’s Dream s’accompagne de violon et de percussion. Conrad Alexandrowicz, qui puise sa passion pour la danse dans les racines de la poésie, se confie :
« La musique, qui est la langue des émotions, a sa propre identité et s’implante comme un personnage. » Si une langue sensée est toujours modérée, Mother Tongue joue sur le sensoriel et outrepasse toute modération, dans l’équilibre du jeu !

Mother Tongue

14 au 18 mai

Scotiabank Dance Centre,
677 rue Davie

www.wildexcursions.ca
604.736.4939