Le Mondial des outsiders en chants et en sons

On se souvient de la pénurie de boules Quiès provoquée par la vuvuzela sud-africaine. Et l’on sait désormais que la caxirola brésilienne prétend lui succéder. Mais ici à Vancouver, qui sont ces supporters « minoritaires » atteints de la fièvre du soccer ? Où et comment se feront-ils entendre dans le ronron assourdissant des dominants du ballon rond ?

Ils sont des outsiders du Mondial : trois pays qui ne font pas partie du club des favoris et dont les noms commencent ou se terminent tous en « i ». Pourtant, leurs supporters pourraient faire du bruit. Tour de terrain.

L’Algérie en trompette ?

Un musicien indo-canadien joue la troisième mi-temps lors du Vancouver International Soccer Festival (VISF). | Photo par Adri Hamael, Vancouver International Soccer Festival

Un musicien indo-canadien joue la troisième mi-temps lors du Vancouver International Soccer Festival (VISF). | Photo par Adri Hamael, Vancouver International Soccer FestivalL’Algérie en trompette ?

Si l’Algérie est souvent décrite comme la plus faible représentante africaine au Mondial, ses soutiens vancouvérois ne l’entendent pas de cette oreille. Sur Kingsway, dans sa Casa Shawarma où le kebab côtoie la pizza, Mustapha Salmi se sent seul. On estime à 400 le nombre d’Algériens établis à Vancouver, à peine 0,02% de la population… « Ceux qui étaient là sont tous partis en Alberta ! », s’exclame-t-il. Supporter de l’Algérie, il a vécu le premier Mondial de son pays en Espagne, à l’été 1982. « On était jeune et on remplissait les stades ! L’Algérie était dans le même groupe que l’Allemagne et l’Autriche et dans les bars, les Espagnols roulaient pour nous. »

Cette année, Mustapha cherche un moyen de regarder les matchs sur son mobile. Pas de câble ni d’Internet à la Casa, où il tient la barre sept jours sur sept, ce qui ne l’empêche pas d’être au courant : « Nous avons une bonne équipe, avec des jeunes joueurs dont la plupart ont été formés en France. » Mounir Benmesbah, animateur du groupe Facebook Les Algériens de Vancouver, explique : « Nous avons un lien très fort, presque filial, avec l’équipe. Même si l’Algérie est le plus grand pays d’Afrique, on ne parle que très peu de nous ou pas pour de bonnes raisons, alors les joueurs sont nos meilleurs ambassadeurs. »

Sur la Drive, au Joe’s Cafe, on peut compter sur les partisans des Verts pour venir en fanfare… ou en trompette. « Mais la vraie trompette à piston, pas la vuvuzela, précise Mustapha. À Alger, avant un match, vous avez jusqu’à quatre trompettistes répartis dans différents coins du stade. Chacun s’occupe d’un bon millier de paires d’oreilles. Lorsque le premier commence à jouer, tout le monde se tait… Puis un autre répond, le public suit et le son monte à ciel ouvert ! » Alors que dans sa vidéo de présentation, la FIFA souligne que les Algériens jouent aux dominos en suivant le foot, Mustapha corrige, amusé : « Ils jouent tout le temps aux dominos. Pendant un match, les vieux profitent des rues désertes, car tout le monde est chez soi, devant sa télé. Dès le coup de sifflet final, ils plient bagage et laissent la rue aux jeunes ».

L’Australie post-didgeridoo

Dans son sous-sol de West Pender, Corina Aquino, la patronne, ne craint pas le « bourdon », le son de base produit par le didgeridoo, cet instrument à vent – tronc creux d’eucalyptus – qui a fleuri chez les aborigènes avant de se tailler une place en tribune. Originaire de Perth, Corina a posé le pied à Vancouver il y a 24 ans et trouvé mari ici : « C’est le genre de chose qui arrive », lance-t-elle en riant. Depuis 19 ans, elle accueille chaque client avec une franche hospitalité et le sens du « Honey ».

Un groupe brésilien de samba lors du Vancouver International Soccer Festival. |  poesie%20dugerondif%20cover2.tif Photo par Adri Hamael, Vancouver International Soccer Festival

Un groupe brésilien de samba lors du Vancouver International Soccer Festival. | Photo par Adri Hamael, Vancouver International Soccer Festival

Les Socceroos (contraction de soccer et de kangaroos), 59e au dernier classement de la FIFA, ont sûrement des ressorts à trouver pour « faire un bond dans l’histoire », mais au Moose’s Down Under, on n’a d’yeux que pour eux. Dès le 13 juin, jour du match inaugural de l’Australie face au Chili, nombre d’« Aussie-Vancouvérois » (on en compte 5500) afflueront à grands renforts de maillots, drapeaux, tatouages temporaires et possiblement didgeridoos… aux petites lueurs. « Comme deux matchs seront retransmis à 9h du matin, nous offrirons un petit déjeuner australien ». Au menu, entre autres : des Bum Nuts (équivalent australien des œufs). Corina prend déjà les réservations.

Sean Willcock, designer d’intérieur, sera peut-être du lot : « J’ai déjà déposé des jours de congé pour suivre le Mondial. Et si je dois regarder des matchs au bureau, j’ai prévu un deuxième écran… » Ce grand gaillard est en couple avec une Italienne qui voudrait bien lui passer le maillot au cou, mais son cœur reste Socceroo. Il a même « convolé » jusqu’en Allemagne lors du Mondial 2006 pour soutenir son pays.

En ‘Straya, une fois passé l’enthousiasme de ce Mondial 2006, qui avait marqué la première qualification de l’équipe nationale depuis 1974, et la déception de 2010, l’atmosphère dans les stades a plongé « down under »… Il fallait faire quelque chose et une poignée de supporters s’y est attelée. Créé en 2013, Terrace Australis se présente comme « le 12e homme » de l’équipe, un réseau international dont le but est de porter plus haut et fort les couleurs jaune et vert. Le forum recèle une riche audiothèque de chants de supporters. Si l’on se fie aux votes, en canon avec le didgeridoo (très « années 1990 » d’après Sean), au Moose’s Down Under, Told You So de Johnny Warren ou le fameux Aussie Aussie Aussie, Oi Oi Oi, chant de ralliement lors des Jeux olympiques de Sydney en 2000, pourraient bien bercer les espoirs australiens… ou paver la voie à leurs exploits.

L’Iran à « Sheipour » et à tambour

Les Iraniens de Vancouver ont beau être cinq fois plus nombreux que leurs pairs australiens, il leur faudra soutenir leur équipe tambour battant pour se faire entendre jusqu’au Brésil et déjouer les pronostics concernant les Lions de Perse, 37e au classement de la FIFA.

« 99% des Iraniens ont déà les yeux rivés sur le ballon », confie Soroush Khoshroo, chiropraticien établi ici depuis 20 ans. « Tout s’arrête en Iran pendant la Coupe du Monde… ce n’est pas le bon moment si vous voulez qu’un dossier avance ! », lance-t-il avec un humour. Lui, il ira faire un tour sur la Drive ou dans les bars de Yaletown pour suivre le parcours de la Team Melli et du défenseur des White Caps, Steven Beitashour, rappelé par l’Iran pour le Mondial, même s’il préfère habituellement inviter ses amis « à la maison ».

Côté son, justement, Soroush et son compatriote Sahand Tahmasebi, président du club perse de UBC, évoquent la trompe Sheipour, mi-flûte, mi-klaxon. Mais pour ce qui est de la tradition, on mise plutôt sur le Tombak et autres tambours. Ces instruments et les chants d’usage se feront sûrement entendre dès le 16 juin pour le premier match face au Nigeria, au Stadium Club du Edgewater Casino, sur Pacifique, et au Narrows Pub, à North Vancouver, qui déploieront les grands écrans pour l’occasion.




Un « mini-Mondial » en prolongations

Tout ce beau monde est invité à jouer les prolongations les 12 et 13 juillet au Parc Andy Livingstone, dans le cadre du 10e Vancouver International Soccer Festival. Organisé à l’initiative d’Adri Hamael, le tournoi réunira 32 équipes amateures composées d’hommes et de femmes de multiples origines, ethnies et conditions, en plus de proposer des performances musicales et la retransmission de la finale pour la 3e place et de la finale du Mondial. « Il s’agit avant tout de cultures », répète volontiers Adri, pour qui le foot est un prétexte pour les apprécier et les (ré)unir. Une façon de brasser les cages !

Un groupe indo-canadien lors du VISF. | Photo par Adri Hamael, Vancouver International Soccer Festival

Un groupe indo-canadien lors du VISF. | Photo par Adri Hamael, Vancouver International Soccer Festival