Quand des artistes abordent un sujet tabou

Exposition : « Man-Up Against Suicide »

Personne n’a rien vu venir, pourtant c’est arrivé… le suicide reste un sujet tabou dans notre société. Selon une étude publiée par Statistique Canada en juillet 2012, les hommes sont d’ailleurs trois fois plus susceptibles que les femmes de parvenir à cette extrémité. Éclairer un sujet aussi sensible sans en faire un point de vue mais un témoignage, voilà ce que propose l’artiste Foster Eastman.

Une démarche artistique consciente

Contacté par le docteur John Oliffe, professeur à UBC conduisant une étude sur la dépression et le suicide des hommes, Foster a développé ce projet artistique avec 25 participants. Ayant perdu un proche, ayant tenté de se tuer ou étant en souffrance psychique, tous expriment leurs sentiments face au suicide. Ou comment sensibiliser par l’intermédiaire de l’art.

La force de Foster Eastman est de combiner des clichés explicites sans clore un sujet épineux. Toutes les histoires se matérialisent entre installations, montages photographiques et photos-essais. Une installation de nœuds coulants montre ainsi les raisons du suicide : problèmes familiaux, financiers, faiblesse du système de santé canadien, souffrance physique et psychologique, égoïsme, hérédité. Une réalité crue. Peu d’hommes osent parler de leurs souffrances, mais ici ils trouvent comment entamer la conversation, librement.

Un espace de discussion grâce au témoignage

L’art ouvre à la confidence. « Si la participation de chacun reste personnelle », comme l’explique Christina Han, directrice du projet et collaboratrice du docteur Oliffe : « Tous veulent exprimer comment le suicide d’un homme peut affecter les gens. » Ou comment transformer une honte en communication. Mais exposer sa situation n’en devient pas plus aisé, comme en témoigne Ian Morrison.

L'artiste Foster Eastman.|Photo par Noelle Vannier

L’artiste Foster Eastman.|Photo par Noelle Vannier

Ex-officier de police, père de deux enfants, il souffre de dépression et est revenu depuis quelques années auprès de sa famille après deux années passées dans le Downtown Eastside, « le degré zéro du programme pour la santé », comme il dit. Pensant et voulant y mourir, il y découvre une communauté « aimante que je n’ai jamais expérimentée nulle part ailleurs ». Dans une boîte aux lettres en verre, des seringues remplies de ce qui caractérise ce quartier : « Il y a beaucoup de choses horribles : drogues, alcool, sang, vêtements, cigarettes, rats morts, nourriture. Ce qui est dans le verre représente une partie significative de ma vie et absolument rien de tout ça n’est bon. » Il se souvient de l’inauguration : « Mon histoire est en face de la porte d’entrée, je me suis senti exposé, je ne voulais pas y être associé, car je ne voulais pas qu’on me pose de questions, j’aurais été embarrassé. » Son souhait est surtout de « faire quelque chose de nouveau. Mais il n’y a pas mon nom ou mon image dessus. » Comme les visiteurs regardant l’oeuvre du coin de l’œil par peur de contagion, il se préserve pour dire « voilà ce que je suis et avec quoi je me bats, je sentais que j’avais une responsabilité dans le projet, et c’est un cadeau », conclut-il, entre fierté et distance.

Faire progresser les regards

Certaines personnes préfèrent penser que la mort reste la meilleure solution. Comme le souligne Ian : «Ils ne comprennent pas. Certains veulent aider mais ne veulent pas mettre leurs mains trop près du feu. » Lucide de son paradoxe, il ne veut pas contrôler ses mots puisque « je deviendrais une partie du problème car je voudrais cacher les choses sous le tapis, et ce projet en est l’exact opposé ».

Il faut donc continuer d’en parler pour faire tomber les peurs et les stéréotypes. Christina, elle, a changé de regard : « Je suis en meilleure posture qu’eux pour le moment, mais je me suis vue en eux.» Foster pense que ces attitudes représentent la situation canadienne en matière de traitement de la souffrance psychique. « Nous avons besoin de temps, d’argent, de recherches sur la santé psychique.» Bien qu’il ait du mal à comprendre le suicide, « si je peux aider ce serait intéressant, je n’aurais jamais dit ça six mois auparavant. Le message principal est donc : parlons-en ! On en parle autour d’une table avec sa famille, ses amis sans être gêné, pour obtenir de l’aide », défend Foster. Pour Ian « c’est une chose dingue de dire que c’est une partie de la vie, mais c’est une partie de la vie!» Alors, parlons !

Exposition Man-Up Against Suicide
Du 28 mai au 29 juin
à la Foster Eastman Gallery
1445 rue Georgia ouest

Canadian Mental
Health Association
www.cmha.ca

Canadian Association
for Suicide Prevention

www.suicideprevention.ca