Venise, la ville qui n’en n’est plus une

Sorti de la gare, je traverse la place en direction de l’Office du tourisme. On est pourtant au mois de mai et donc pas en pleine saison touristique. Mais j’abandonne vite l’idée de me joindre aux gens qui font la file pour pénétrer dans ce bureau car un panneau multilingue annonce : xplan de la ville 2,50€. Partout ailleurs, les bureaux d’information touristique vous donnent des plans gratuitement, mais à Venise, tout coûte cher. La ville est belle, tout le monde le sait et tout le monde semble vouloir y venir au moins une fois. C’est à la fois normal et désastreux car l’affluence empêche le visiteur d’apprécier toute la splendeur de cette ville ancienne et fragile.

Chaque année, plus de vingt millions de touristes jouent des coudes dans les étroites ruelles de Venise. Le fameux pont Rialto ressemble au métro à l’heure de pointe. La place Saint- Marc est couverte de monde en permanence. Les bateaux de croisière débarquent près de trois quarts de millions de passagers chaque année. En plus des Européens et des Nord-Américains qui viennent visiter la ville depuis longtemps, il faut compter avec les nouveaux marchés touristiques de l’Asie, de la Russie et du Moyen-Orient. Les professionnels du tourisme prévoient une forte croissance dans les prochaines années.

Venise en pleine saison touristique. Photo par Pascal Guilon

Venise en pleine saison touristique. Photo par Pascal Guilon

Conscients du danger que présentent ces hordes de visiteurs, des critiques ont émis l’idée de limiter les entrées, comme cela se fait dans certains musées. Encore faudrait-il admettre que cette ville n’est plus une ville mais qu’elle est devenue un parc d’attraction culturel. Un musée à ciel ouvert. Les Vénitiens s’y opposent mais ils semblent être une espèce en voie de disparition. Ils étaient 175 000 en 1950, ils ne sont plus qu’une cinquantaine de milliers à l’heure actuelle et 25% d’entre eux ont plus de 65 ans. Ils partent pour de nombreuses raisons. Il y a les inondations qui endommagent périodiquement les résidences et les commerces et nécessitent de coûteux travaux de réfection. Certains mentionnent l’humidité constante et le coût très élevé des réparations, sans compter l’inquiétude liée au réchauffement climatique et à la fréquence accrue de ces inondations. Il y a aussi les loyers élevés car les espaces habitables sont plus rentables s’ils sont voués à l’industrie touristique. Mais surtout, il y a le fait qu’il est devenu difficile de vivre normalement dans cette ville-musée. Les magasins ordinaires ont été remplacés par des galeries d’art et des marchands de souvenirs. Le message est clair, si vous ne travaillez pas dans l’industrie touristique, vous n’avez plus rien à faire ici. Les villes modernes avoisinantes sont beaucoup plus pratiques, même si elles manquent de charme.

En dépit de la foule et de tous ces inconvénients, on ne peut pas dire que Venise ne mérite pas d’être vue. On peut tout de même éviter le pire. A l’aube, avant l’arrivée des foules, la ville révèle encore sa magie. Si vous êtes riche, visiter la ville dans un bateau-taxi, confortablement installé avec un verre de champagne à la main est sans doute un bon plan pour éviter la bousculade. Sinon, visiter Venise hors saison est également envisa-
geable. C’est un soir de novembre que j’ai vu Venise pour la première fois. Le temps gris, froid, pluvieux m’a permis de marcher presque seul dans les merveilleuses ruelles qui vous mènent de la gare à la place Saint- Marc. En dépit du mauvais temps, cette grande place presque déserte était plus impressionnante en ce soir d’automne que couverte de monde sous un soleil de plomb.

C’est la même chose pour ce qui est de voir les fameux sites touristique ailleurs en Europe. Dorénavant, j’irai les voir entre le début de novembre et la fin de mars. Certes, il faudra faire avec la pluie et la grisaille et parfois avec la fermeture saisonnière de certaines attractions. Mais en contrepartie, il ne sera pas nécessaire de réserver à l’avance pour entrer dans un musée à une heure donnée, comme c’est le cas pendant une bonne partie de l’année dans les principaux musées italiens. A la basse saison, les hôtels sont parfois moins chers et le personnel a le temps de vous considérer comme un être humain et non pas comme une carte de crédit sur pattes. Ce choix de voyage hors- saison ne fera jamais l’unanimité, et c’est très bien comme ça, mais dans des endroits comme Venise, Bruges ou le Mont Saint-Michel, par exemple, c’est seulement à la basse saison que l’on peut apprécier lentement et calmement la beauté des lieux. C’est seulement dans ce calme, que ce soit sous la pluie ou non, que l’on peut rêver et imaginer ce qu’étaient ces endroits dans les siècles passés. En pleine saison touristique, Venise a un côté « Disneyland sur Adriatique » qui est une indignité aux milliers d’artistes et d’artisans qui ont laissé tant de beauté à leurs descendants.