Gêné de son accent étranger

Étrange. Voilà l’adjectif exprimant le sentiment ambigu que j’ai ressenti tout de suite après que la pure montée d’adrénaline se soit estompée. Etrangère, voilà comment je me sens dès l’atterrissage dans un nouveau pays – ignorant encore que ce dernier allait devenir mon « chez moi » dix ans plus tard. C’est l’identité interne qui se cache, ou bien la puissance incontournable qui me tente au mieux de réprimer l’accent d’ailleurs – bref, c’est peut-être la force qui me pousse à être comme les autres. Mais à quel prix? Chaque allèle de notre ADN nous donne notre identité ethnoculturelle particulière qui n’appartient qu’à nous. Vivre à Vancouver ne fait que souligner cette réalité, ne pensez-vous pas ?

Je suis une Philippine-Canadienne francophile. Née à Makati, l’une des seize villes qui composent la Grande Manille aux Philippines, j’ai passé les douze premières années de ma vie dans la ville voisine de Parañaque. À l’âge de trois ans, j’ai fréquenté une école chrétienne internationale où j’ai pu évoluer dans un milieu divers qui non seulement accueillait à bras ouverts les différentes nationalités, mais aussi me donnait l’occasion de découvrir de nombreuses cultures ainsi que de créer un réseau de liens avec les autres étudiants. Comme la plupart des jeunes à l’époque, j’ai grandi en parlant deux langues simultanément : le philippin chez moi et l’anglais à l’école. « Rien de spécial » comme ce que l’on disait, car parler deux langues c’est le moins que l’on puisse faire en tant qu’étudiante dans une communauté hétérogène. Ce n’est qu’à l’âge de douze ans que j’ai commencé à apprendre le français. Bien évidemment la raison était simple – je déménageais avec ma famille au Canada. Ayant lu un petit aperçu de l’histoire canadienne en ligne, j’ai découvert qu’il n’existait pas une, mais deux langues officielles au Canada. Inutile de préciser que ce que je venais de lire est devenu la force motrice qui m’a bien encouragée à apprendre le français pour pouvoir m’exprimer couramment dans cette langue. Par conséquent, afin de placer la barre encore plus haute, je me suis plongée avec une détermination inébranlable dans un programme francophone multidisciplinaire au Bureau des affaires francophones et francophiles (BAFF) à l’Université Simon Fraser (SFU) qui m’a permis d’étudier au Québec et en France. La soif de l’expérience culturelle francophone a enfin été étanchée. Néanmoins, en y repensant, on pourrait constater que je visais une stratégie au niveau académique et linguistique afin d’établir un pont entre eux, les Canadiens, et moi, l’étrangère. Cela ne passe plus en souriant, car il faut des mots pour s’exprimer. Pour une jeune fille de douze ans à l’époque, c’était la seule solution envisageable afin de s’intégrer au sein de sa nouvelle communauté.

Des livres sans accents. | Photo par Daffydil

Des livres sans accents. | Photo par Daffydil

À première vue, la ville de Vancouver ne ressemblait pas à ce que j’envisageais. C’était la mosaïque culturelle qui m’avait intriguée et l’harmonisation de chacune de ces cultures qui a éveillé ma curiosité. Les gens qui traversent le pont Granville pour se rendre du quartier chinois sur Pender Street à la Petite Italie sur Commercial Drive démontrent cette diversité qui caractérise la ville de Vancouver. Suite à la richesse de cette communauté dite internationalisée, il va de soi qu’il faut en profiter. Alors, comment ai-je fait justement ?

En bon québécois, ayez du coeur au ventre et soyez vous-même. Le sentiment d’appartenance est une entité que l’on ne cherche pas. On la crée avec nos différences. Une langue n’est qu’un mode de communication, mais c’est plutôt une ouverture vers la reconnaissance de tout ce qui existe hors de notre zone de confort. Il s’agit de découvrir tout ce qui nous distingue pour fonctionner dans ce monde de diversité, parfois cela pourrait dire être fier de son accent étranger. Compte tenu de la pluralité culturelle qui nous entoure dans cette belle ville, nous ne sommes plus, après tout, les étrangers.