Les ninjas de l’improvisation

Illustration par Afshin Sabouki

Illustration par Afshin Sabouki

Du public, une scène et des comédiens… Cela ressemble à du théâtre, à la différence que les acteurs ne savent pas ce qu’il vont dire. Depuis sa création au Québec en 1977, l’improvisation est un art qui ne cesse de se développer à travers le monde. La Source vous entraîne sur les planches de quelques théâtres vancouvérois, à la rencontre de ces improvisateurs des temps modernes !

Assister à un spectacle d’impro, c’est un peu comme entrer dans une arène où s’affrontent des gladiateurs. Le verbe à la place du glaive, ils se défient et s’allient pour le meilleur et pour le rire. Le principe de base est simple : Rassembler sur une scène un arbitre et deux équipes de comédiens parés à rivaliser d’inventivité pour conquérir les zygomatiques d’un public très actif. Ce dernier participe aux intrigues les plus loufoques qui se déroulent sous ses yeux à partir de quelques mots lancés à la volée : La bière du matin à Munich, l’histoire d’un castor dépressif, d’une maison de pancakes ou encore d’un singe qui fait du tennis… Pour l’acteur Graeme Duffy, l’impro, « c’est créer quelque chose à partir de rien, aller vers l’inconnu avec juste quelques instructions. » Ce comédien professionnel de 27 ans officie plusieurs fois par semaine sur l’île de Granville dans le centre d’improvisation du Vancouver TheatreSports créé en 1980. Il forme les jeunes et les moins jeunes à cet art qui ignore les frontières puisqu’on le pratique aussi bien dans le monde francophone qu’aux États-Unis, au Mexique ou au Japon. Lorsqu’il anime des ateliers avec des femmes et des hommes dont l’anglais n’est pas la première langue, Graeme les invite d’abord à s’exprimer dans leur idiome pour les observer « se libérer, agir et prendre confiance. Si les gens ont peur du risque et du ridicule, on leur montre qu’il ne faut pas s’en faire. Sur scène, on n’est jamais seul, on s’aide et on rebondit en permanence. » Pour stimuler la créativité, il existe une règle de base très stricte et efficace, « ne jamais dire non car cela bloque l’inspiration, on répond toujours oui et l’on ajoute quelque chose de nouveau ». Une règle utile aussi dans le monde de l’entreprise qui s’en sert de plus en plus pour résoudre des conflits ou tout simplement créer du lien entre les salariés.

Photo par Mathias Raynaud

Photo par Mathias Raynaud

La ligne rouge de l’humour
Lui aussi acteur et formateur, avec 24 années de pratique de l’impro au compteur, Pearce Visser avoue que « c’est toujours intéressant de travailler avec des gens issus d’autres cultures, car au-delà de la langue, c’est aussi tout le langage corporel qui diffère et cela rend toutes les interactions possibles, c’est universel ». Si, pour lui, il ne fait aucun doute que « l’impro peut se travailler partout dans le monde », il met en garde contre la ligne rouge qu’il ne faut pas franchir, celle de l’humour facile qui revient à utiliser les différences des minorités. « On n’essaye de ne pas faire de blagues sur les origines car on ne veut pas paraître raciste ou faire en sorte que certains se sentent insultés ou mal à l’aise. Par exemple, je ne jouerais pas le rôle du chauffeur de taxi indien pour ne pas tomber dans ce cliché et risquer d’offenser. » Alors peut-on faire de l’humour avec les différences culturelles ? Si le sujet n’est pas tabou, il est sensible. Pearce, qui est également l’un des directeurs artistiques du Vancouver TheatreSports, reconnaît pourtant utiliser certains stéréotypes : « Si je dois jouer un Français, je vais fumer, un Italien, je vais bouger les mains, un Irlandais, faire de la danse en ligne. » Bien qu’il porte un nom d’origine écossaise, Aaron Mccalum vient de Grandpré en Alberta. Attiré par la création artistique, ce francophone barbu a démarré l’import avec la troupe de l’Instant Theatre Company il y a deux ans et reconnaît parfois utiliser aussi quelques lieux communs: « En Colombie-Britannique on aime fumer de l’herbe et être relax, en Alberta on aime le pétrole et l’argent, il y a les fermes dans les prairies, le centre du monde en Ontario, l’accent français et le sirop d’érable au Québec et les pêcheurs dans les Maritimes, » enchaîne-t-il avec l’aide d’un compère entre deux éclats de rires. Mais la diversité des profils et des origines reste avant tout pour lui une force car « chacun apporte son énergie qui est unique ».

L’impro sur le vif lors des Street Fights de l’Instant Theatre Company | Photo par Mathias Reynaud

L’impro sur le vif lors des Street Fights de l’Instant Theatre Company | Photo par Mathias Reynaud

Le sens de l’improvisation
Dans le public ce soir là, on rencontre aussi Daniel et Brette, un couple germano-canadien qui remarque la différence de style avec le théâtre d’improvisation pratiqué en Allemagne : « Là bas, l’humour est… plus sec… plus sérieux… ironique et sarcastique. Ici on est plus dans le spectacle, c’est plus fou et plus vivant!»

« Ici, on entraîne des ninjas à recevoir l’inspiration de la part du public », s’exclame Alistair Cook. Le Directeur artistique de l’Instant Theatre Company, dont il fut à l’origine il y a vingt ans, regrette toutefois qu’il n’y ait pas plus de diversité sur la scène vancouvéroise : « Le Vancouver multiculturel ne se retrouve pas à 100% dans les représentations. Même si l’improvisation explose en ce moment en Chine par exemple, ce style théâtral reste encore trop occidental. Nous avons la possibilité de réunir toutes les minorités et toutes les différences culturelles sur scène et nous essayons de le faire, mais malheureusement ce n’est pas le cas. » Un exemple révélateur à l’issue de deux spectacles, sur 14 improvisateurs, seulement 3 étaient des femmes… Et pourtant, les portes de ce monde sont grandes ouvertes à tous les nouveaux venus, conclut Alistair Cook, pour qui : « Tout le monde peut faire de l’impro puisque tout le monde a une histoire et donc des histoires à raconter.

Tripimproviser – du jeudi au vendredi jusqu’au 30 août au Improv Centre, Granville Island
Street Fights – tous les dimanches au Havana Theatre