Trains de ville et trains de campagne

Avec la délicatesse de sa locomotive dévalant la longue côte de Nantes vers Lac Mégantic, causant le déraillement de wagons contenant du pétrole, détruisant le centre-ville et faisant 47 victimes, l’Américain Edward Burkhardt, président-directeur général de la Montreal, Maine and Atlantic Railway, propriétaire de la locomotive mortelle, déclarait en conférence de presse impromptue quatre jours après la catastrophe, que la valeur de ses avoirs personnels avait considérablement baissé depuis. Aussi subtil que les traces laissées par de la poussière de charbon sur un mouchoir de soie blanche !

Le CP, avec sa promesse de créer un chemin de fer vers le Pacifique, a mené à l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération le 20 juillet 1871. La construction entreprise en 1880 est achevée en 1885 et le premier train de passagers en provenance de Montréal entre en gare à Vancouver en mai 1887.

Il est indéniable que les chemins de fer ont joué un rôle prépondérant aussi bien dans le développement de notre pays que dans le maintien économique de Lac Mégantic avant la catastrophe de l’été dernier. Autant on pouvait en retirer un sens de grande aventure, quand enfant (à une autre époque) on tentait le sort en flânant le long des rails. Autant on pouvait imaginer la vie sordide des familles qui n’avaient pas le choix que de vivre le long des rails et de subir nuit et jour le tonnerre de ces monstres d’acier. Autant leur tracé déterminait qui faisait partie de la « haute » ou de la « basse » selon que l’on habitait en haut ou en bas des « tracks ». Autant aujourd’hui la réalité brutale de la catastrophe de Lac Mégantic et celle du calme bucolique des jardins urbains cultivés avec soins, le longs des rails du CP à Vancouver, illustrent avec éclat le contraste que soulèvent la présence et l’absence de circulation ferroviaire en milieu urbain.

Lac Mégantic n’a pas le choix. Elle doit de nouveau regarder passer dans son centre mutilé, ces dinosaures mécaniques, qui ressemblent encore à s’y méprendre à leurs ancêtres du début de la confédération, tout en acceptant que sa survie et son avenir économique en dépendent.

Un jardin urbain sur Arbutus voué à la disparition | Photo par Noel Jennings

Un jardin urbain sur Arbutus voué à la disparition | Photo par Noel Jennings

À Vancouver, c’est l’absence de circulation ferroviaire depuis 2001, qui, le long de ce que l’on appelle maintenant le corridor Arbutus, long de 11 kilomètres, a donné naissance à de nombreux jardins communautaires. La nature « humaine » a horreur du vide, c’est bien connu. Mais voilà que le CP, fort de ses droits de propriétaire, et avec la délicatesse d’une locomotive, avise ces jardiniers qu’ils doivent abandonner leurs plants de tomates. En toute honnêteté, il faut rappeler que le premier avis a bel et bien été donné en mai, avant que les semences aient été plantées. Mais la délicatesse, ou même la sensibilité des cheminots est telle, qu’à quelques semaines de la récolte, les bulldozers entrent en action. Tous reconnaissent que le CP est propriétaire de ces espaces et qu’il a le droit d’en faire ce qu’il veut, sans pouvoir les développer en projet commercial, industriel ou résidentiel. Le CP prétend vouloir remettre ses rails en état de répondre aux normes fédérales pour le transport ferroviaire. Mais pour transporter quoi et vers où ? Rappelons que ce chemin de fer qui commence à False Creek traverse Kitsilano, Kerrisdale et Vancouver South, pour arriver au fleuve Fraser. La Cour suprême du Canada a déjà statué que la ville de Vancouver avait le droit d’en modifier le zonage pour en faire un corridor vert, ce qu’elle a déjà fait. C’est ce qui explique la naissance de tous ces jardins, de pistes cyclables et de sentiers pédestres, sillonnant parfois certains des quartiers les plus bourgeois de la ville. Vancouver a bien offert 20 millions de dollars pour acheter le corridor mais le CP en veut 100… Ce qui fait que la carotte ou la tomate de jardin urbain pourrait coûter cher aux contribuables qui n’auront aucune chance d’y goûter. Reste donc la coïncidence que cette campagne de pression s’entame à quelques mois des élections municipales de la mi-novembre. Le maire Robertson a offert 20 millions de dollars au CP et son opposant du NPA, Kirk Lapointe le critique pour ne pas avoir su en arriver à une solution négociée…Faut-il comprendre qu’il offrirait plus de 20 millions s’il est élu ?

En attendant, jardiniers, dégagez !