Où s’en va-t-on tonton ?

La grève des enseignants est finie. Il était temps. La population, parents, enseignants et élèves compris, commençait à se lasser du conflit. Le mécontentement se faisait sentir partout, dans tous les milieux. Les uns, à juste titre, en voulaient au gouvernement. Les autres, par ignorance, s’en prenaient au syndicat.

Alors là, tonton, tu manques d’objectivité.

Mon cher neveu, tu connais ma position. Je te l’ai maintes fois expliquée. Je ne peux pas être plus clair. Je prends parti et j’assume. Ne cherche aucune objectivité dans mon propos. Tout ce que je te raconte est totalement subjectif. J’ai, depuis ma plus tendre enfance, un faible pour les syndicats. Je n’oublie pas que, sans eux, le patronat s’en donnerait à cœur joie au détriment des employés. Si ce n’était des syndicats, les conditions de travail épouvantables qui régnaient encore jusqu’à la fin du 19e siècle seraient encore monnaie courante de nos jours. Rappelle-toi, alors que tu t’apprêtes à regagner les bancs d’école, que ce sont eux, les syndicats, qui se sont battus, et se battent encore, pour mettre fin aux abus de pouvoir. Ils luttent pour une justice sociale souvent malmenée. Dans un monde capitaliste sans limites où le néolibéralisme fait des ravages, il faut se montrer vigilant. Qui, mieux qu’eux, pourrait contrer les excès de la libre entreprise, amorcés au cours des années Reagan et Thatcher ?

Retour en classe pour un enseignant grèviste. | Photo par Bryan Jackson

Retour en classe pour un enseignant grèviste. | Photo par Bryan Jackson

Merci pour la leçon tonton, et la superbe démonstration.

Mon cher neveu, sache que je n’aime pas ton ton.

Navré. Mais tonton, sait-on qui a gagné ?

Les avis sur la question sont partagés. Cette grève des enseignants, à mon avis, a réussi à mettre en évidence un renouveau de solidarité qui semblait parfois manquer à l’appel dans le monde syndical. Ce mot, solidarité, souvent galvaudé, est au cœur même de l’action syndicale. Un mot que l’on doit respecter et non haïr ou trahir. Les syndicats, avec en tête la Fédération du travail de la Colombie-Britannique, ont su faire preuve de leur solidarité. C’est tout à leur honneur. Rien que pour ça, j’estime que le syndicat sort vainqueur du conflit, même si la plupart des éditorialistes affirment le contraire. Devant l’appui non mitigé, sous forme de dons importants, de la Fédération et de divers syndicats de la Colombie-Britannique, le gouvernement a compris qu’il fallait parvenir rapidement à une entente, alors qu’il avait fait poireauter les grévistes depuis la fin juin. Il valait dès lors bien mieux négocier avec eux et cesser de jouer au plus malin. Comme dans toute négociation, chacun a dû mettre de l’eau dans son vin (même si ce dernier a un goût de piquette pour les enseignants) afin d’arriver à un accord aussi imparfait soit-il.

Mais maintenant, tonton, où s’en va-t-on ?

Pour commencer, tu retournes à l’école. La question mainte-
nant est de savoir ce que l’on va t’enseigner et ce que tu vas retenir. Va-t-on oser te faire croire que, maintenant la grève des enseignants terminée, Sapristi
Clark et sa cohorte de libres entrepreneurs portent en haute estime l’éducation de nos enfants ? Va-t-on vouloir porter aux nues notre Première mi-
nistre provinciale, comme aurait aimé la voir Mr. Virgin, Richard Branson ? Va-t-on te parler de l’affaire Mike Duffy et de ses retombées ? Va-t-on t’expliquer tous les scandales qui ont entouré le Sénat, cette chambre où les pistonnés de l’État viennent suivre une cure de sommeil ? Va-t-on te raconter les exploits de Capitaine Canada, interprété par notre Stephen Harper national, qui, escorté par tous les médias canadiens, est parti à la recherche des bateaux de l’expédition Franklin ? Oui, une épave a été retrouvée. Avec notre premier ministre ça en fait deux. Va-t-on te dire que tout cela était parfaitement programmé et fait partie du début de la campagne électorale fédérale ? Va-t-on te faire valoir que c’est indécent et désho-
norant de la part des médias de se prêter aussi facilement à ce jeu ? Va-t-on t’informer de la désastreuse politique environnementale, associée au manque de courage politique de nos gouvernements, qui consiste, au détriment de tout bon sens, à favoriser les grands pollueurs, responsables des changements climatiques ? Va-t-on te dire, finalement, qu’en matière de politique étrangère, le Canada est en train de péter plus haut que son cul ?

Tonton, ça suffit, je ne veux plus aller à l’école.

Mon petit, ta place est en classe. Il n’est pas question de faire l’école buissonnière.

Mais tonton, à t’entendre, c’est tentant.