« À toi, pour toujours, ta Marie-Lou » Joyeux drame et jeu de Joual

Dans notre précédent numéro, nous avions ouvert une fenêtre sur la répétition publique de la pièce À toi, pour toujours, ta Marie-Lou dans le cadre de la Fête de la culture. La Source explore cette fois les dessous de ce classique de la dramaturgie québécoise, présenté du 14 au 25 octobre au Studio 16 par le théâtre La Seizième, qui marque ainsi son 40e anniversaire.

Lever de rideau sur une famille ouvrière aux valeurs catholiques, recroquevillée sur elle-même, où la violence est le lot quotidien. Tandis que Léopold et Marie-Lou, un couple sans amour, se déchire, leurs filles, Carmen et Manon, subissent en silence les stigmates de leurs inepties. A priori, les prémices d’À toi, pour toujours, ta Marie-Lou peuvent paraître banales. Mais la pièce prend une tournure troublante lorsque Léopold, Marie-Lou et leur jeune fils décèdent dans un accident. La famille est frappée par le drame.

Une certaine aspérité domine le langage des quatre personnages qui interprètent la pièce. Chacun est aux antipodes de l’autre. Ils tentent d’affronter une nébuleuse de sentiments, leurs blessures psychologiques et émotionnelles. La pièce se joue en deux temps. Le rideau se ferme une première fois sur la tragédie qui frappe comme un couperet. Il se rouvre dix ans plus tard, sans que les années aient réussi à biffer l’amertume et la façon de se blesser avec une féroce facilité.

Siona Gareau-Brennan campe le rôle de Manon, qui, obsédée par la mort de ses parents, est devenue une ombre recluse et pieuse. Vêtue presque comme une nonne avec un chapelet autour du cou, elle incarne la tristesse et donne la réplique à Carmen (Julie Trépanier). Celle-ci a évolué en un personnage à l’allure désopilante et semble avoir exorcisé le traumatisme. Cependant, elle finit par se faire prendre dans un autre piège, plus étriqué et aliénant.

Une élégie érigée sur une note d’espoir

Deux mondes évoluent en parallèle sur la scène. Cependant, aucune communication ne filtre entre l’au-delà des parents morts et le monde réel des enfants. Toujours contrariés dans l’autre monde, Léopold et Marie-Lou restent figés en 1961, l’année de leur accident, alors que Manon et Carmen vivent dix ans plus tard. Chacun tente de murer ses déchirures en confrontant le sombre passé, tout en aspirant à déboucher sur la lumière.

L’écriture de Michel Tremblay résonne toujours, n’ayant pris une ride depuis quarante ans. Les acteurs y puisent la vérité de leurs personnages. Craig Holzschuh, directeur artistique et metteur en scène, explique : « Il y a beaucoup de facettes à ces personnages. Il faut continuellement creuser pour retrouver l’émotion des acteurs et s’assurer que l’interprétation vient de la réalité du personnage en question. C’est l’un des grands défis de la production. » Dénuée de musique, la pièce est presque statique. Les acteurs n’ont pas beaucoup de gestes, bien qu’ils débitent des émotions volubiles. Le décor, cependant, est très éloquent. C’est lui qui affiche la couleur des tempéraments, tantôt mornes, tantôt joyeux, dans une maison en ruine.

Les conventions de la pièce instituées par Michel Tremblay veulent que les personnages ne se regardent pas souvent. L’interprétation se conjugue donc de l’intérieur. Aux yeux de Siona Gareau-Brennan, « c’est un défi parce que le scénario dicte une façon différente d’entrer dans le jeu du personnage. »

Le joual, populaire

Chef-d’œuvre de Michel Tremblay, premier auteur à écrire en joual, sociolecte du français québécois issu de la culture populaire urbaine de la région de Montréal, À toi, pour toujours, ta Marie-Lou reste une composition originale. Pour Siona Gareau-Brennan, « c’est un texte très intéressant à travailler. Le joual renforce le jeu parce qu’il décrypte le caractère des personnages et rend la compréhension aisée. »

On est en 1971 quand Michel Tremblay monte la pièce. Celle-ci rejoint la révolution tranquille où le Québec commence à s’affirmer et vole vers son indépendance. Le joual est favorisé. La classe ouvrière fait son apparition sur la scène. La diversité culturelle rehausse le paysage politique et social.

Siona Gareau-Brennan, qui interprète Manon. | Photo de Pink Monkey

Siona Gareau-Brennan, qui interprète Manon. | Photo de Pink Monkey

Traduite en plusieurs langues, l’œuvre de Michel Tremblay va faire le tour du monde. Le poids du texte et sa résonance sont toujours d’actualité, attirant un public affûté. Le prestigieux Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal, a encore fait salle comble en programmant la pièce l’année dernière.

Pour Craig Holzschuh, « la pièce est bien ancrée dans un français québécois qui va au-delà de la langue. Elle a un long parcours accompli sur la scène théâtrale francophone de Vancouver. On saisit aussi l’opportunité de revoir les mots et le travail de cet illustre auteur qui a valu au théâtre La Seizième d’ouvrir ses rideaux avec Les belles sœurs en 1974. »

Si beaucoup de gens peuvent se reconnaître dans cette histoire, voir ou revoir la pièce est également l’occasion de s’évader à l’intérieur, dans une introspection, de se laisser transporter entre rêves et espoirs…

 

À toi, pour toujours, ta Marie-Lou
Du 14 au 25 octobre
Spectacles du mardi au samedi à 20 h
Studio 16, 1545, 7e Avenue Ouest
Surtitres anglais mardi, jeudi et samedi
www.seizieme.ca