Les « dits » commandements

Et donc, j’ai besoin de toi et de ton iPad. Nous allons passer des tables… à la tablette de la Loi.

En me promenant dans les bois du mont Seymour, pendant que le loup n’y était pas, je suis tombé, malgré moi, sur un loup-garou qui, se faisant passer pour un gourou, se cachait derrière un mûrier sauvage. Imaginez ma surprise.

Devant ma stupeur et me voyant seul, il m’interpella avec autorité : « Que viens-tu faire en ces lieux ? » Décontenancé par le ton quelque peu belliqueux, je ne sus quoi répondre. Il poursuivit :
« Que portes-tu dans ta main ? »

« Une tablette électronique, un iPad », lui ai-je répondu timidement.

« Et ce dessin dessus, qu’est-ce que c’est ? »

« Le logo, la marque de commerce. »

« Ah ? Une pomme dans laquelle quelqu’un aurait croqué ? Le péché originel, donc. Le fruit défendu. C’est un instrument de proportions bibliques, » enchaîna-t-il non sans faire une moue admirative.

J’allais poursuivre mon chemin lorsqu’il m’arrêta brusquement.

« Ne t’en va pas. J’ai une tâche à te confier. Vu d’ici, le monde actuel me déplaît. Il n’est plus ce qu’il était. Pas plus mauvais, mais plus dangereux. Je crois qu’il est temps d’apporter quelques changements importants aux dix commandements que Moïse reçut sur le mont Sinaï, et qui, jusqu’à présent, régissent notre monde en lui indiquant la marche à suivre. Je crois que l’on a fait fausse route ou tout au moins, je pense que l’on peut faire mieux. Les dix commandements datent. Trop archaïques. Il faut les moderniser, les transformer, les adapter à notre époque. Une révision complète s’impose. Comme pour une voiture qui a atteint un certain kilométrage. Et donc, j’ai besoin de toi et de ton iPad. Nous allons passer des tables… à la tablette de la Loi. J’énonce, tu rédiges. »

Pasteur de rue et sa tablette. | Photo par Just Ard

Pasteur de rue et sa tablette. | Photo par Just Ard

Comment refuser ?

Nous nous sommes approchés d’un buisson ardent afin de nous réchauffer, car il ne fait pas chaud sur le mont Seymour à ce moment de l’année. Il se mit à l’ouvrage et je fis de même. Voici ce que cela a donné :

1. Tu ne déclareras pas la guerre à tes ennemis tant qu’ils te foutent la paix. Ainsi tu ne partiras pas en guerre sans Babette ou sans la permission de ceux qui s’y opposent.

2. Tu ne marcheras jamais sur des œufs, ce qui évitera de les casser et de faire des omelettes. Dans la même veine, et peut-être en vain, accompagné d’un bon verre de vin, tu ne fuiras pas tes responsabilités, tu garderas toujours la tête froide et éviteras de mettre les pieds dans les plats.

3. Tu ne voleras pas les idées des autres pour les revendre sur Internet et tu ne tueras pas dans l’œuf les initiatives de tes subordonnés sous prétexte qu’elles ne viennent pas de toi.

4. Tu tueras le temps, car le temps c’est de l’argent et l’argent ne fait pas le bonheur comme essaient de nous le faire croire ceux qui sont nantis.

5. Tu ne pollueras pas impunément la planète. Polluer c’est pas poli. Si tu pollues, ta maison sera entourée d’une décharge, ta piscine remplie d’eau toxique, et pousseront dans ton potager des légumes empoisonnés.

6. Tu ne jugeras pas ton député ou autre représentant politique sur ce qu’il dit mais sur ce qu’il fait. Tu réduiras ainsi la démagogie au silence.

7. Tu ne fileras pas à l’anglaise au moment de faire la vaisselle ou toute autre tâche utile et nécessaire.

8. Tu ne tricoteras pas ton linge sale en famille avec des aiguilles de seringues ramassées dans le parc.

9. Pense à observer le deuxième jour de repos, à la suite de la première journée, qui fut négociée autrefois. Tu sanctifieras ces deux jours-là en buvant à ta santé dans l’un des pubs les plus proches de chez toi. Tu prendras aussi quelques journées de congé supplémentaires pour récupérer de ces instants de débauche.

10. Tu ne convoiteras pas et tu ne désireras pas injustement le bien des autres à moins que la valeur de ces biens soit généreusement côtée en bourse.

11. Tu ne commettras pas d’adultère sans en avoir parlé auparavant avec ton psy ou une personne adulte.

Et, pour finir, me dit-il, essoufflé, s’adressant directement à moi :

12. Tu ne diras ni n’écriras des bêtises pour amuser la galerie.

Je lui ai promis d’essayer sans oublier de lui faire remarquer que : « Cela fait plus de dix commandements que vous m’avez dictés. »

« Oui, je sais. J’en profite. C’est l’avantage, sur la pierre, de la tablette électronique. On ne peut freiner le progrès », m’a-t-il répondu, satisfait.

Puis, je suis tranquillement redescendu en ville en faisant bien attention de ne pas casser la tablette. Moïse ne s’en est jamais remis.