Le vote ethnique, un véritable enjeu électoral ?

Photo par Anne-Diandra Louarn

Photo par Anne-Diandra Louarn


Les chiffres sont quasi inexistants et les spécialistes de la question très rares. Pourtant le vote ethnique est un sujet brûlant. On dit qu’il peut faire ou défaire une élection. Mais existe-t-il vraiment ? Quel impact peut-il avoir sur les élections du 15 novembre ? Éléments de réponse.

Fort de ses quelque 200 origines ethniques différentes dont 13 dépassent le million de personnes, la diversité canadienne n’est plus à démontrer. Selon les résultats de la dernière Enquête nationale auprès des ménages réalisée par Statistique Canada en 2011, les Asiatiques du Sud-Est (Inde, Pakistan, Sri Lanka, Bangladesh, Bhoutan, Népal et Maldives) représentent un quart (25 %) des minorités visibles du pays. Viennent ensuite les Chinois (21,1 %) puis les Noirs (15,1 %). Leurs principaux lieux de résidence ? Toronto, Montréal et, bien évidemment, Vancouver et ses alentours.

Autant dire qu’à l’heure des élections municipales, les candidats qui se présentent dans ces agglomérations ont tout intérêt à composer avec les différentes communautés et donc à prendre en compte ces voix que l’on regroupe sous l’étiquette du « vote ethnique. »

« À Surrey, le vote indo-canadien peut tout faire basculer »

Parmi ces communautés, les Asiatiques du Sud sont particulièrement scrutés par les politiciens et leurs équipes. « Avec 814,5 millions d’électeurs, l’Inde est la plus grande démocratie au monde et elle existe depuis toujours. Influencés par leur culture d’origine, les Indo-Canadiens sont traditionnellement très impliqués dans la vie de publique et la politique », explique Rattan Mall, rédacteur en chef du journal The Indo-Canadian Voice.

La culture religieuse des Indo-Canadiens tend également à influencer leur comportement de citoyen. Chez les Sikhs, par exemple, « beaucoup considèrent l’engagement politique comme étant un service public et spirituel », affirme Doris Jakobsh, professeure au département des études religieuses de l’Université de Waterloo, en Ontario. Selon elle, les premières traces d’engagement civique chez les Sikhs remontent au 17e siècle à l’époque du sixième Guru – Guru Hargobin, dont on dit qu’il portait à sa ceinture deux épées :
« la première, piri, représentait sa mission spirituelle et son rôle de meneur. La seconde, miri, démontrait son engagement actif dans la société. » Ancré depuis des siècles, le concept du miri-piri fait partie des mœurs fondamentales qui régissent le quotidien des Sikhs.

Naresh, Indo-Canadien qui tient un commerce à Punjabi Market, pense que le vote ethnique va compter cette année. | Photo par Anne-Diandra Louarn

Naresh, Indo-Canadien qui tient un commerce à Punjabi Market, pense que le vote ethnique va compter cette année. | Photo par Anne-Diandra Louarn

Cette implication naturelle dans la politique ne laisse évidemment pas les politiciens de marbre, qui y voient une réserve de voix non négligeable. « Dans une ville comme Surrey, les Indo-Canadiens ont le pouvoir de tout faire basculer puisqu’ils représentent 30 à 40 % des habitants. On ne peut pas nier que le vote ethnique pèse lourd en Colombie-Britannique », commente Rattan Mall. Avant de tempérer : « Encore faut-il qu’ils se déplacent le jour du scrutin ! Car les Indo-Canadiens sont souvent actifs durant les campagnes, mais lorsqu’il faut aller placer un bulletin dans l’urne, c’est une autre histoire… »

« Les Indo-Canadiens commencent à comprendre leur poids électoral »

Un point de vue que partage Naresh, gérant d’une boutique au cœur du quartier de Punjabi Market, à Vancouver. « Les Indiens font toujours beaucoup de bruit autour de leur cause, ils parviennent à attirer l’attention des politiciens qui leur font des promesses en échange de leur vote. Sauf que le jour J, tout le monde reste chez soi. » Arrivé au Canada il y a 44 ans, alors qu’il n’était âgé que le 15 ans, Naresh est fier d’aller voter le 15 novembre. « Je ne rate aucune élection ! », assure-t-il.

Jogander, un autre Indo-Canadien croisé à Punjabi Market, a également hâte de faire entendre sa voix aux élections avec son épouse. « En Inde, les gens font souvent l’objet de pressions et de menaces pour voter alors qu’ici on est libre de soutenir qui on veut. Alors même si l’on considère – à tort – que les élections locales ne sont pas aussi prestigieuses que les fédérales, il faut aller voter ! », s’exclame-t-il. Naresh, lui, en est persuadé : cette année, les Indo-Canadiens vont se déplacer en masse : « On devient de plus en plus futé. Les premières générations d’immigrants votaient bêtement pour les candidats Indo-Canadiens qui leur ressemblaient, mais aujourd’hui c’est différent. On est mieux renseignés et je sens que notre communauté commence à comprendre son pouvoir et son poids électoral. »

« Le vote ethnique est surtout une question d’image »

Chercheuse au Centre d’études ethniques des universités montréalaises, le Dr Sarah Wilkins-Laflamme croit peu à une vague de votes ethniques le 15 novembre prochain. « On entend énormément parler des minorités ethniques lors des phases de campagne mais elles n’ont pas une réelle emprise sur le résultat des élections. Le vote ethnique est surtout une question d’image et de marketing pour les partis politiques. Ils jouent tous avec cette notion », explique-t-elle. Ainsi, lorsqu’en 2013, les néo-démocrates diffusent un document secret des libéraux dans lequel est expliquée la méthode à suivre pour « gagner facilement » le vote des membres des communautés culturelles, un véritable scandale éclate autour du vote ethnique. Mais cet épisode fâcheux pour l’image des libéraux n’a pas empêché le gouvernement de Christy Clark d’être réélu pour diriger la
Colombie-Britannique…

Véritable arme de guerre, le vote ethnique servirait donc surtout à des fins stratégiques, sans pour autant faire déplacer les foules. C’est pourtant là que le véritable enjeu des élections civiques semble se nicher. En 2011, lors des précédentes élections civiques, le taux de participation n’avait été que de 34 %, enregistrant une faible progression de quatre points par rapport à 2008. Cette année, Janice MacKenzie, chef du bureau des élections de Vancouver, table sur une meilleure participation mais n’espère pas atteindre les niveaux de mobilisation des élections fédérales.

Pour plus d’infos sur les élections : www.elections.civicinfo.bc.ca