Salomé Nieto, la « réalité magique » et le butō

Le Shadbolt Centre for the Arts de Burnaby accueille le nouveau spectacle de danse de la vancouvéroise Salomé Nieto, du 19 au 22 novembre.

Cela fait trois ans que Salomé Nieto travaille sur Camino Al Tepeyac, un spectacle qui explore la profondeur de la culture de son pays d’origine, le Mexique. Bien que Salomé Nieto vive à Vancouver depuis maintenant 22 ans, son héritage culturel mexicain joue un rôle primordial dans son spectacle. Cependant, rester fidèle à ses racines n’a pas toujours été évident pour la danseuse. Elle se confie : « Quand je suis arrivée au Canada, j’étais préoccupée par ma survie, si je peux me permettre. » Elle raconte avoir voulu s’intégrer, en apprenant la langue et en s’adaptant à la culture de sa terre d’accueil. « J’ai arrêté de pratiquer mes festivités mexicaines. J’ai changé la façon dont je m’habillais, en arrêtant de porter les habits et bijoux traditionnels de mon pays. » Elle ajoute : « Je voulais être moderne, Canadienne. »

La danse, un retour aux origines

C’est par le biais de sa danse de prédilection, le butō, qu’elle a su réconcilier cet héritage culturel avec sa réalité quotidienne. Elle dit avoir entrepris un processus de redécouverte artistique. « Je me suis posé beaucoup de questions, jusqu’à même me demander : pourquoi est-ce qu’on voudrait vouloir venir me voir danser ? Je me suis rendue compte qu’il fallait que je développe mon identité. Parce qu’au final, être fidèle à moi-même, c’est la seule chose que je pouvais exprimer ». Ainsi, elle décide de retourner vers ses racines, afin d’y puiser de l’inspiration pour son processus créatif. « J’ai fouillé dans mes souvenirs, mes connaissances du Mexique de l’époque précoloniale, dont les rituels, mythes et traditions. » C’est à la suite de cette réflexion que Camino Al Tepeyac est né, courant 2011.

Festival de Butoh International en Argentine, août 2013. | Photo par Nelson Coreas

Festival de Butoh International en Argentine, août 2013. | Photo par Nelson Coreas

Le butō : du Japon à Vancouver en passant par le Mexique

Son initiation au butō s’est faite dès son arrivée à Vancouver, avec la troupe de danse locale Kokoro Dance. Cette danse d’origine japonaise s’est développée en réaction aux traumatismes à la suite de la Seconde Guerre mondiale, pendant les années soixante. Selon Salomé, plusieurs artistes japonais cherchaient à exprimer leur identité propre, et à trouver une façon de guérir les blessures de la guerre. « Ils ont décidé de rejeter les influences de l’Occident et d’expérimenter en sortant des conventions traditionnelles. Ils ont ainsi développé cette danse du corps, ce corps qui avait tant besoin d’être réinventé. » Le butō est aujourd’hui répandu à travers le monde. Par ailleurs, le butō est visuellement reconnaissable par le fait que les danseurs peignent leurs corps en blanc. « L’idée est d’effacer son égo, et d’être un medium pour que le corps exprime sa vérité ». Pour Salomé, les liens entre la culture mexicaine et le butō sont évidents. « Une grande partie de la formation de danse butō se focalise sur la création d’une conscientisation de notre héritage ancestral. D’où venons-nous, où allons-nous, qu’est- ce qu’être vivant ?». Ces réflexions existent aussi dans la culture mexicaine, où la vie et la mort prennent une place prépondérante.

Rencontre avec le réalisme magique

Dans son processus de réflexion artistique, elle a trouvé le réalisme magique. Ce terme est né dans les années 1920 pour désigner un art qui fusionne réalité et éléments magiques. Salomé tient à faire la différence entre le réalisme magique et le surréalisme. « À l’inverse du surréalisme, où les éléments magiques viennent du subconscient, le réalisme magique les incorpore dans la réalité. » C’est cette contraction qu’elle veut illustrer dans Camino Al Tepeyac, car le réalisme magique est omniprésent au Mexique. Selon la danseuse, le catholicisme introduit jadis par les espagnols côtoie aujourd’hui les croyances de l’époque précoloniale. Elle cite l’exemple d’une église à Chiapas, dans le sud-est du Mexique : « Elle a été construite par les Espagnols. Le plancher est couvert de feuilles, ils y célèbrent des rituels aux origines préhispaniques, sans aucun rapport au catholicisme, et pourtant sous le même toit. » Fruit de ce multiculturalisme, Camino Del Tepeyac est un spectacle à ne pas rater.