Le prix de l’essence

Loin de moi l’idée de me lancer dans un débat philosophique stérile, au cours duquel je risquerais de ne pas briller. J’en ai déjà fait l’expérience lorsque je me suis intéressé à la question de l’appartenance sexuelle des anges, telle que la concevaient les petits philosophes oisifs du Moyen-Âge. J’ai depuis longtemps pris pour acquis que les anges n’ont pas de sexe, sinon ils ne seraient pas des anges. N’est-ce pas, mon ange? Ô toi, gardien de tous mes péchés non avoués? Mais là n’est pas la raison de mon désarroi. Non, je me pose plutôt des questions plus mondaines, à savoir : naître ou ne pas naître? L’existence existe-t-elle? Ou encore, question plus appropriée : qu’est-ce qui se passe avec le prix de l’essence? Dois-je me réjouir ou au contraire m’inquiéter? Dois-je boycotter ou plutôt en profiter? Autant de questions angoissantes que je m’efforce, tant bien que mal, d’élucider.

Vous en conviendrez, vous et moi vivons des moments difficiles. Nous passons actuellement, sans que probablement personne ne s’en soit aperçu, par une sérieuse crise existentielle, puisque nous sommes confrontés à notre essence même. Le ciel ne m’en est pas témoin, car les cieux n’ont d’yeux que pour eux-mêmes. Mais, pour en avoir fait moi-même quotidiennement l’expérience, je vous le dis : la vie est dure. Le plus triste, c’est qu’elle dure. Un peu trop longtemps, selon certains. Pour moi, un dur de dur, le plus grave c’est que, contrairement à d’autres formes d’énergie, cette vie n’est pas renouvelable. De plus, elle n’a pas de prix me dit-on. Ce qui n’est pas le cas de notre essence, comme tout personne motorisée le sait. Pour tout vous dire, et puisque nous sommes dans la confidence, je n’en peux plus. Je ne sais plus à quelle pompe me vouer. Pas les pompes funèbres, ni de Satan ni du Vatican, mais des stations d’essence. Car, comme Jean-Paul Sartre l’a si savamment formulé, l’existence précède l’essence. Autrement dit, c’est à l’extraction du pétrole, source de tous nos soucis, qu’il faut s’en prendre. Le prix du baril de pétrole vient de connaître la plus belle dégringolade de son existence. Ceci ne fait pas l’affaire de notre Premier ministre canadien qui, dans sa folie des grandeurs et son manque de sagesse, avait décidé de mettre tous ses œufs dans le même panier : l’exploitation à fond et à tout prix des sables bitumineux de l’Alberta. Mal lui en a pris. D’où, et je pèse mes mots, nos maux d’aujourd’hui. Son pendant albertain, Jim Prentice, lui non plus n’en mène pas large. Et qui va payer les pots cassés? Oui, je ne vous le fais pas dire.

Il semble qu’Harper et son gouvernement conservateur n’avaient pas prévu le coup. Difficile à croire qu’ils se soient fait prendre comme des enfants de chœur (je sais, ce n’est pas flatteur pour les enfants de chœur, mais que ces derniers me pardonnent cet amalgame). Les pays de l’OPEP, en baissant continuellement le prix du baril de pétrole, ont voulu mettre leur grain de sable dans l’engrenage de l’exploitation très onéreuse, et donc moins rentable, du pétrole extrait des sables bitumineux. De toute évidence, l’Arabie Saoudite et ses acolytes ne voient pas la concurrence d’un bon œil. Fort jaloux, ils désirent l’anéantir ou tout au moins, mon chou, lui faire plier genoux, sur un caillou, devant un hibou qui lui cherche des poux. Soyons franc et direct :
Harpeur et son cabinet, comme on le dit communément, se sont fait prendre les culottes à terre (évitez d’imaginer la scène). Manque de vision donc. Ce qui me fait dire, et je ne m’avance pas trop en disant cela, que nous sommes gouvernés à l’aveuglette. J’irais même plus loin. L’adage « Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois » prend toute sa signification quand on pense que Stephen Harper a de grandes chances d’être réélu Premier ministre l’automne prochain. L’électorat canadien souffre d’une grande cécité lorsque vient le temps des élections.

Le prix du baril a atteint un plancher historique. | Photo par Bob Cotter

Le prix du baril a atteint un plancher historique. | Photo par Bob Cotter

Mais revenons à l’essence du propos de cette chronique qui, grâce à la perspicacité des lecteurs, des éditeurs et des correcteurs, doit son existence. En poussant vers le bas, le prix de l’essence, les princes saoudiens et consorts deviennent, sans le vouloir, des soutiens aux écologistes nord-américains qui, justifiant ainsi leur existence, comme eux combattent avec succès, mais pas pour les mêmes raisons, l’exploitation des sables bitumineux par les compagnies pétrolières. Dans cette lutte que se livrent les producteurs de pétrole, le consommateur pour le moment y gagne. L’économie du pays par contre, faute de clairvoyance, va en pâtir. Et je ne peux m’empêcher de rêver au jour où la voiture électrique remplacera celle du moteur à essence qui ne fait qu’empoisonner notre existence.