Le sombre versant du couloir « Sea-to-Sky »

Dans le couloir « entre ciel et mer », les victimes d’agressions sexuelles et de violences au foyer peuvent se sentir seules. | Photo par ghetto_guera

Dans le couloir « entre ciel et mer », les victimes d’agressions sexuelles et de violences au foyer peuvent se sentir seules. | Photo par ghetto_guera

Alors que Squamish vient de se tailler une place dans la prestigieuse liste des 52 endroits à visiter en 2015 du New York Times et que la réputation de Whistler n’est plus à faire chez les adeptes de sports d’hiver, La Source s’est intéressée au versant caché du couloir « entre ciel et mer » (ou Corridor Sea-to-Sky), qui relie Vancouver à Pemberton. Dans ce cirque naturel exceptionnel, les agressions sexuelles et les violences familiales sont en effet sur la pente ascendante. Et les victimes se retrouvent souvent esseulées.

Le couloir a tout de la carte postale. Pourtant, ses quelque 35 000 habitants, essentiellement répartis entre Squamish, Whistler et Pemberton, ont sûrement du souci à se faire.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le nombre moyen d’agressions sexuelles rapportées chaque année dans la région est de 53,4. En relief et toutes proportions gardées, il s’y produit 172 agressions sexuelles pour 100 000 habitants, contre 40,5 dans le Grand Vancouver et 35,8 à Richmond. La fréquence des agressions sexuelles est donc trois fois plus élevée dans le couloir que dans les deux grands centres urbains mentionnés.

Du côté des violences familiales ou violences au foyer, le panorama est tout aussi sombre. En 2013, d’après le rapport de la GRC fourni par les associations locales, l’augmentation des dossiers impliquant des violences familiales y a atteint 46 %, avec une explosion de 87 % à Squamish (qui pèse beaucoup sur la statistique globale de la région). À Whistler uniquement, au premier semestre 2014, et toujours selon les chiffres de la GRC, les cas impliquant des violences familiales ont augmenté de 40 % par rapport à la même période en 2013. Le nombre d’agressions sexuelles rapportées y est toutefois resté stable.

Éléments d’explication

Sheila Allen, directrice du Howe Sound Women’s Centre, dont l’équipe est aux premières loges en cas d’agression sexuelle et de violence familiale, avance plusieurs éléments qui pourraient contribuer à expliquer ce revers de carte postale. Il y aurait d’abord la culture de l’après-ski à Whistler, dont la vie nocturne est particulièrement animée, qui est propice aux abus de toutes sortes, notamment d’alcool et de drogues. Mais aussi ces loyers qui atteignent, comme à Vancouver, des sommets. Du coup, « le couchsurfinget les colocations nombreuses » sont fréquents chez les travailleurs saisonniers, dont les salaires sont loin d’être mirobolants… Avec un risque : on n’en sait parfois pas long sur la ou les personnes chez qui on va dormir la nuit d’après. Et puis il y a ce choc de cultures assez unique à Whistler et dans le couloir, avec les Premières Nations Squamish et Lil’wat d’un côté, vivant en majorité dans les réserves, les travailleurs saisonniers issus des quatre coins du globe, ceux qui ont fondé une famille et ont décidé de rester, et enfin les touristes, souvent fortunés, qui affluent par milliers. Ajoutez à ce cocktail une forme de précarité et l’isolement relatif propre à la vie dans les montagnes, et vous avez peut-être les ingrédients d’une “mini-crise sociale”.

Des pistes de solution

Face à cette situation, les associations locales se sont mobilisées et des solutions, souvent temporaires, ont vu le jour. Un numéro d’appel a ainsi été mis en place pour les victimes. Elles peuvent aussi trouver de l’aide et des informations au Drop-In Centre de Whistler, qui a reçu plus de 900 visites depuis son ouverture en 2012. Dans certains cas, elles peuvent en outre séjourner dans la Maison de transition de Squamish, pour une durée maximale de 30 jours, ou encore dans la Maison sécurisée de Pemberton (dont la localisation exacte est tenue secrète) pour un maximum de 10 jours, toutes deux gérées par le Howe Sound Women’s Centre. Mais ce n’est pas nécessairement la porte à côté et aucune solution, en la matière, n’est de facilité. Le chemin est plutôt semé d’embûches.

Le Drop-In Centre de Whistler a reçu 900 visites depuis son ouverture, en 2012.

Le Drop-In Centre de Whistler a reçu 900 visites depuis son ouverture, en 2012.

Si elles peuvent en effet se faire soigner, passer des tests de dépistage de maladies sexuellement transmissibles et subir des traitements pour de potentielles grossesses dans le couloir, à l’hôpital de Squamish ou dans les centres de santé de Whistler et de Pemberton, les victimes ne peuvent y être examinées à des fins de preuve médico-légale. Pour ce faire, elles doivent en effet se déplacer jusqu’à Vancouver, ce qui peut demander jusqu’à 4 heures de conduite après un choc traumatique. Afin d’éviter cette “double peine”, des pistes de solutions à plus long terme ont été proposées et sont à l’étude, notamment la formation d’infirmières “volantes” susceptibles de se déplacer immédiatement en cas d’agression sexuelle pour dispenser les examens nécessaires à des fins de preuve médico-légale, l’ouverture d’une maison sécurisée à Whistler pour y accueillir les victimes les plus à risque, ou encore une meilleure coordination des services.

En attendant, le travail dans l’ombre se poursuit et les associations espèrent que l’exposition médiatique, à la lumière des affaires Gomeshi et autres, contribuera à dissiper le tabou qui entoure les agressions et abus sexuels partout au Canada. Et à réveiller les consciences dans le couloir.

 

Ligne d’appel d’urgence, 24 heures sur 24
1-877-890-5711
ou 604-892-5711

Squamish Women’s Centre
38021 Third Avenue, Squamish
604-892-5748

Whistler Women’s Centre
1519 Spring Creek Drive, Whistler
604-962-8711