Le badinage

Photo par Jean-Louis Zimmermann

Photo par Jean-Louis Zimmermann

La fête de la Saint-Valentin approche. Poètes amoureux, à vos crayons, ou à vos plumes ou encore, si vous préférez, modernité oblige, à vos claviers. Qu’importe l’outil, pourvu qu’on ait la formule. Mais pour cela, il vous faudra du savoir-faire car on ne badine pas avec l’amour et encore moins avec les mots qui l’expriment.

Les déclarations d’amour, qu’elles soient épistolaires ou autres, méritent une attention particulière. Votre relation sentimentale en dépend. Cupidon n’aime pas qu’on le prenne pour un con. Il doit soigner sa réputation. Ses flèches empoisonnées pourraient bien vous prendre pour cible, si jamais vous négligez votre rédaction. Désireux de faire une bonne action, chers Valentins, je vous propose de suivre mes instructions. Certes, je ne suis pas un expert en la matière, mais j’ai quand même quelques décennies d’expérience derrière moi. La relation que j’entretiens, depuis tant d’années, avec ma bien aimée, atteste du bien fondé de mon apparente prétention. Mes conseils, dont nul n’aurait l’audace de contester la fiabilité, sont gratuits. Ils n’engagent que moi et ma chancelante crédibilité. Au besoin, si vous en doutez et si vous le réclamez, je peux fournir quelques références qui prouveraient mon manque d’innocence en ce domaine. Je suis là pour rendre service et que service soit rendu, puisque le besoin, de toute évidence, s’en fait sentir,

Comment rédiger un texte pour la Saint-Valentin? Les formules abondent. Bien entendu, évitez, à tout prix, les clichés. « Mon amour, je t’aimerais toujours » ou encore « Dans la prunelle de tes yeux, je peux lire tout l’amour que j’ai pour toi » ne convient pas. Ça ne prend pas. Ça ne vaut pas un pet de lapin, mon lapin. Il faut faire preuve d’originalité. Mais, attention de ne pas aller trop loin. Ne dépassez pas les bornes, s’il vous plaît, car limites il y a. Le mauvais goût, contre lequel, il est vrai, je ne suis pas immunisé, peut faire son apparition à tout moment. Ainsi, écrire à sa dulcinée que l’on aimerait être à la place de son tampon hygiénique, comme le Prince Charles, qui est de Galles et non de Gaulle, l’avait laissé entendre à sa maîtresse d’alors, n’est pas, selon moi, une formule heureuse ni recommandée. Loin s’en faut. Elle fait défaut. Elle laisse entendre un esprit pervers, digne de la Saint-Charlot et non de la Saint-Valentin. Il existe des façons plus appétissantes, plus séduisantes, de déclarer ou de démontrer sa passion.

Une autre manière, résolument illustrative, d’afficher ses sentiments, pourrait se retrouver dans la phrase suivante : « Mon amour, je t’aime à la folie, bergère de mes moutons que je compte chaque soir avant de m’endormir ». Tentative de créativité qui peut connaître quelques revers car elle indique, sans équivoque, vos soucis d’insomnie. Ce qui pourrait déplaire à l’âme convoitée, pour qui il est fort possible que le sommeil soit d’or.

D’autre part, les déclarations à consonance romantique, mais à la sincérité douteuse, sont à éviter. « Lorsque je lève les yeux pour admirer les étoiles, je bénis le ciel de t’avoir un jour rencontrée ». L’idée au départ est valable. Elle peut marcher. Mais elle est risquée. Votre compagne du jour pourrait penser qu’elle a à faire à un illuminé, prêt à écrire n’importe quoi pour la séduire, aveuglé par sa foi et qu’elle préfère, en ce sens, un athée. Souhait qu’elle espère rapidement exaucer.

Et que dire de : « Mon amour, tu es belle comme le jour ? » Lamentable. Particulièrement pour ceux qui habitent Vancouver où le soleil, pendant de très longs mois, fait rarement son apparition. À la place, écrivez plutôt : « Mon amour, tu es belle comme la musique composée par les gouttes de pluie sur mon parapluie ». La personne convoitée ne perdra pas au change en se souvenant des belles paroles de la chanson de Georges Brassens : « Un petit coin parapluie contre un petit coin paradis ». Une image qui devrait la ravir. Elle tombera dans vos bras si vous les lui tendez. Surtout ne les ouvrez pas. Les chutes engendrent de mauvais rapports.

« À ma tendre et douce moitié » : autre modèle à proscrire sans faute. Ce genre d’en-tête peut faire penser que vous revenez de chez le boucher avec un beau morceau de viande à qui vous vous adressez avant de lui faire sa fête en le déposant gentiment sur la grille de votre barbecue. Après cela, ne vous étonnez pas si votre relation est cuite.

Finalement, la meilleure solution, celle préconisée par les minimalistes du bonheur conjugal, celle que je vous suggère, celle qui coule de source, consiste à garder la plus grande simplicité. Il suffit d’écrire « Je t’aime », ni plus, ni moins, sans autre apparat ni artifice.

Enfin, si après avoir suivi tous mes conseils, vous essuyez un échec, sous forme de rejet catégorique et formel, sachez que je décline, en l’occurrence, toute responsabilité, car en amour, vous devez le savoir, chers Valentins d’occasion, il n’existe aucune garantie.