Le réac

Un exemple de galanterie? | Photo par Guendal

Un exemple de galanterie? | Photo par Guendal

Au risque de vous paraître ringard, vieux jeu, voire même réactionnaire, je me dois de dénoncer, rien de nouveau en ce propos, avec tristesse et regret, la disparition de certains comportements humains qui nous facilitent la vie et nous la rendent tellement plus agréable. Je regrette, en effet, de voir que la courtoisie, la galanterie et la politesse ont fait leur valise. Et cela pour de bon.

Fait remarquable, ce phénomène est universel. Je reviens d’Asie, je suis actuellement en Europe et je vis d’ordinaire au Canada. Partout où je passe, c’est la même chose. Je me fais bousculer, au musée du Palais national de Taipei, par la guide de touristes venus de Chine populaire, alors que j’admirais un chef-d’œuvre de l’art chinois. Personne ne s’excuse. On m’écarte tout simplement, comme si je n’existais pas. Je dois avoir l’air insignifiant, sans doute, mais ce n’est pas une raison pour me le faire froidement remarquer. Ailleurs, on me marche sur les pieds. Pas question de s’excuser. Je n’existe pas.

À Lyon, en France, dernièrement, j’ai pris le tram. Il était plein comme un œuf. Nous étions plusieurs personnes âgées à nous tenir debout en attendant que des plus jeunes, bien confortablement installés, nous cèdent leur place. Ce que nous faisions à leur âge – sinon on se le faisait dire, haut et fort. Personne ne s’est levé. On nous a tout simplement ignorés. La courtoisie ne fait plus partie du paysage ni des mœurs du pays.

À Vancouver, j’avais l’habitude, en tant que piéton, d’avoir priorité sur l’automobiliste lorsque je traversais la rue. Maintenant, il faut que j’attende avec patience, tout en faisant très attention, qu’une personne de bonne volonté, au volant de sa voiture, veuille bien me céder le passage, soit par courtoisie, soit par pitié. Les temps changent. À m’entendre, je dois admettre qu’on peut me prendre pour un réac – ce que je suis peut-être devenu avec l’âge. C’est ma maman qui ne serait pas contente si elle savait ça.

Parlant de ma maman. Alors que j’étais ado et en pensionnat à Strasbourg, où mes parents m’avaient envoyé étudier, ma mère eut la gentillesse de me rendre visite. Chose rare. C’était au-dessus de ses moyens. Elle décida, pour me faire plaisir, de m’emmener au restaurant. J’étais ravi. J’allais franchir la porte du restaurant, quand une main ferme m’agrippa par le collet et me fit reculer de plusieurs pas. Cette soudaine marche arrière me prit par surprise. Je me dis : « Ça y est, elle a changé d’avis. Adieu le resto avec maman ». Au contraire, elle voulait me donner une leçon: « Mon fils, sache qu’il faut toujours ouvrir la porte à une dame avant d’entrer et la laisser passer devant. Cela se nomme galanterie et fait partie de la politesse. Si tu veux être un homme, tu dois savoir en faire preuve ». J’ai, croyez-moi, retenu la leçon. Depuis je m’efforce d’être le plus parfait des gentlemen. Quand ces dames veulent bien me laisser faire (féminisme oblige), je les aide à mettre leur manteau. Je leur propose de porter leurs objets lourds si je vois qu’elles sont encombrées. Je les devance pour descendre les escaliers et je les suis lorsqu’il faut les monter. L’idée, vous l’avez compris, étant d’amortir la chute, au cas où elles trébucheraient. Je me baisse aussi pour ramasser l’objet qu’elles auraient, par inadvertance, laissé tomber. À chaque politesse, à chaque geste courtois, j’ai droit à un joli sourire. Voilà ma récompense. Croyez-moi, cela en vaut la peine. La courtoisie, la galanterie, dont le stock s’épuise continuellement, deviennent des valeurs sûres et appréciées. J’ai bien fait d’investir dans ce domaine. Ce n’est pas pour rien que l’on m’appelle le « French charmant ».

Maintenant, dites-moi, suis-je réac ou tout simplement trop vieux pour mon époque ? Il y a certaines valeurs d’autrefois que l’on ne peut, comme ça, jeter à la poubelle. Il faut garder celles qui ont du mérite. Être poli, courtois, avenant, ne sont pas, autant que je le sache, des défauts dont on doit avoir honte. Bien au contraire. Le savoir-vivre est une notion qui s’apprend, qui s’enseigne. J’espère l’avoir transmis à mes enfants. Rien que pour cela, maman, je t’en suis éternellement reconnaissant.

P.S. : Cet article est dédié à ma maman, à qui je tiens à rendre hommage.