Quel cirque

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Photo de Marina Da Glória, Cirque du Soleil

Dites-moi que ce n’est pas vrai. Que c’est impossible. Le Cirque du Soleil ne peut pas perdre sa nationalité canadienne. Rassurez-moi. Je ne peux pas croire qu’après toutes ces années passées dans le giron québécois, notre fleuron national, à la renommée internationale, puisse passer, sans coup férir, dans d’autres mains. Des mains étrangères, si je ne m’abuse.

Bien que cette affaire ne sente pas bon, il faut, nez en moins, que je me fasse à cette idée. Les pourparlers ont, en effet, abouti il y a une semaine. La firme privée américaine d’investissements, TPG capital, a acquis 60% des actions de l’entreprise québécoise. Elle devient ainsi majoritaire. Le fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, retient 10% des parts et plusieurs millions de dollars américains qui devraient lui assurer une retraite tranquille pour ses vieux jours. Cet homme, ce génie diront certains, qui s’est déjà offert un petit voyage dans l’espace, en espérant un jour atteindre la lune, n’a pu refuser l’offre qui lui était offerte. Le soleil a rendez-vous avec la lune, aurait aimé chanter Charles Trenet au chevet de cette entente.

Si je vous raconte tout cela et si je m’attarde un peu sur cette transaction, c’est que je n’ai pu m’empêcher de verser une larme (de caïman) en apprenant la nouvelle. Vous voyez, j’étais sentimentalement attaché au Cirque du Soleil. Je l’avais vu grandir et faire ses premiers pas au Festival international des enfants de Vancouver, il y a une trentaine d’années de cela. Nous avons tous, parents et enfants, été émerveillés par les prouesses de ces jeunes acrobates adolescents. C’était magnifique à voir et surtout inspirant. Puis les années ont passé. Le cirque est devenu une entreprise de show business au rayonnement international. Les spectacles du Cirque n’en finissent pas d’attirer les foules partout où ils se produisent. Lorsque, à l’étranger, je mentionne que je viens du Canada, la réplique est toujours la même « Ah! Le Canada, les chutes du Niagara, le Cirque du Soleil ». Et c’est tout. Avec l’exode du Cirque, il nous reste au moins les chutes. C’est bien peu. Plus dure sera donc la chute. Vous comprenez maintenant mon désarroi. Le Cirque qu’on scie en petites parts de marché, ça ne peut marcher pour longtemps. Je crains que nous assistions au début de la fin d’une belle aventure. Ma fierté, mon chauvinisme, viennent d’en prendre un coup. C’est un coup dur dont je ne suis pas certain d’être en mesure de me relever.

Vous me direz : « Pourquoi pleurer à ce point, ce ne sont pas les cirques qui manquent? : le Cirque Onférence, Le Cirque Onstanciel, le Cirque Conspect, le Cirque Cuit, le Cirque Ulaire et j’en passe ». Ce à quoi je vous répondrais : « Aucun d’entre eux ne possède la nationalité canadienne, d’où ma douleur ».

Qui, aux yeux du monde entier, pourra redorer notre blason ? Qui nous permettra de marcher dans les rues de Rome, de Manille, de Ouagadougou, de Paris, de Rio, de Tokyo ou de Bagdad, la tête haute ? Qui pourra nous rendre notre fierté canadienne ? Céline Dion, Rob Ford, Stephen Harper, Mike Duffy ? Non je ne vois rien ni personne à l’horizon. Avec le Cirque du Soleil nous avons perdu des plumes et, surtout, des paillettes. Nous n’avons plus fière allure. Pour qui va-t-on nous prendre dorénavant ? Qu’est-ce qui va faire notre réputation internationale ? Va-t-on nous envier notre savoir- faire en Irak et en Syrie ou notre implication dans le conflit israélo-palestinien ? Pas que je sache. Va-t-on copier notre politique environnementale et s’en servir comme modèle ? J’espère que non. Nous n’avons plus grand-chose à offrir au monde. Celui-ci peut dorénavant se passer de nous. Nous allons sombrer dans l’oubli. Nous allons être rayés de la mémoire collective. Il faut se rendre à l’évidence, sans le Cirque du Soleil nous, Canadiens, ne sommes rien.

Guy Laliberté, le fondateur du Cirque du Soleil. | Photo de NASA

Guy Laliberté, le fondateur du Cirque du Soleil. | Photo de NASA

Monsieur Laliberté, il est peut-être trop tard pour revenir sur votre décision, mais c’est un cri de désespoir que je lance : je vous en conjure, au nom de tous les Canadiens, rachetez votre entreprise. Je suis prêt à casser ma tirelire pour vous aider à réacquérir ce qui était votre bien (je dois avoir une dizaine de dollars qui traînent par ci, par là). Pour l’amour du Canada reconsidérez votre geste. Ayez pitié de nous. Pour compenser vos efforts et vos dépenses, nous vous offrirons gratuitement le Cirque du Sénat avec ses acrobaties, ses supercheries, ses pirouettes et ses entourloupettes. Et si jamais vous décidez de retourner dans l’espace, je suis prêt, avec quelques collègues, à payer le billet du voyage (aller simple) de Monsieur Stephen Harper pour vous accompagner. Vous pourriez ainsi faire des circonvolutions.