Arène politique : où sont les francophones ?

Photo de Parti vert du Québec

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Alors que d’autres communautés culturelles s’impliquent activement en politique et font élire des représentants aux différents paliers gouvernementaux, en Colombie-Britannique, la communauté francophone n’occupe pas l’avant-scène.

Ainsi, malgré la présence de plusieurs députés fédéraux et provinciaux francophiles dans la province, aucun d’entre eux n’a le français comme langue maternelle. La Source a donc posé la question à plusieurs experts : quels sont les facteurs susceptibles d’expliquer cette sous-représentation « chronique » et pourquoi manquons-nous de candidats prêts à se jeter dans l’arène ?

Une communauté trop dispersée

Selon le professeur en sciences politiques à l’Université de l’Alberta, Frédéric Boily, la communauté est trop dispersée pour être en mesure de faire élire un député. « Les francophones de la Colombie-Britannique, mais aussi de tout l’Ouest canadien, sont en situation de faiblesse démocratique. Leur poids n’est pas assez important pour que les partis choisissent et présentent des candidats francophones dans les circonscriptions », soutient-il.

Des propos qui font écho à ceux de Nicolas Kenny, professeur à l’Université Simon Fraser et auteur d’un ouvrage sur les francophones en Colombie-Britannique. Selon M. Kenny, le noyau francophone, contrairement à d’autres communautés, est inexistant dans la province. Cela contribuerait, selon lui, au peu de mobilisation de la communauté dans la vie politique.

Une communauté parfois peu intéressée ou peu conscientisée

Les Québécois et les Acadiens constituent une partie importante des communautés francophones de l’ouest du Canada. Or, selon le professeur Boily, ces communautés ont longtemps démontré un désintérêt concernant la politique fédérale, s’intéressant davantage aux politiques de leur province natale. Cela pourrait selon lui expliquer en partie pourquoi certains francophones sont peu enclins à s’impliquer activement en politique en Colombie-Britannique. Toujours d’après le professeur Boily, l’Ouest canadien est un endroit de passage pour bien des francophones. « Ils viennent y travailler et repartent. Ils s’intéressent donc peu aux intérêts locaux, à la politique locale, » affirme-t-il.

Frédéric Boily, professeur en sciences politiques à l’Université de l’Alberta.

Frédéric Boily, professeur en sciences politiques à l’Université de l’Alberta.

De plus, certaines fractions de la communauté sont moins conscientisées concernant l’importance de l’implication politique selon le directeur général à la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique, Robert Rothon. « Certaines personnes de la communauté viennent de pays où la démocratie n’existe pas. Ils arrivent ici et, soudainement, ils ont le droit de vote. Ils ont donc certainement une période d’adaptation à faire avant de s’impliquer activement »,
croit-il.

Francophobie ?

Selon le professeur Boily, il existe toujours une forme de francophobie dans les provinces de l’Ouest chez certaines franges de la population. Certains partis hésiteraient donc avant de présenter un candidat francophone ou qui se présenterait comme défenseur des intérêts des francophones. « Les partis tenteront d’éviter d’attiser ce sentiment anti-francophone et voudront plutôt plaire aux populations locales », croit-il.

S’il partage le fait qu’il y ait toujours un fond de sentiment anti-francophone en Colombie-Britannique dans certains milieux, Nicolas Kenny affirme que les francophones ne devraient pas craindre de réactions négatives des Britanno-Colombiens s’ils s’expriment sur le sujet de leurs droits. « On est loin de la situation des années 1980 et 1990 », indique-t-il.

Francophone de naissance et ancien candidat pour le parti progressiste canadien à l’élection de 2011, Roger Lagassé croit aussi qu’il y existe toujours une forme de ressentiment de certains Canadiens anglais envers la communauté francophone, notamment envers les Canadiens français. « Je me suis déjà fait dire en campagne électorale que les Britanno-Colombiens n’éliraient jamais un député franco-canadien », se rappelle-t-il. M. Lagassé, qui a aussi été candidat à la chefferie du nouveau parti démocratique dans les années 1980, croit néanmoins que la très grande majorité des gens, dont les élus, sont ouverts à la francophonie et que c’est ce qui explique, selon lui, le succès des écoles d’immersion de la province.

Des avis qui ne sont pas partagés par Robert Rothon qui affirme qu’il n’existe plus aucun sentiment anti-francophone dans la province. « Non, je suis catégorique, il n’y a pas de ressentiment à l’égard des francophones dans la province, bien au contraire. Les gens font la file devant les écoles francophones pour inscrire leurs enfants à des programmes d’immersion, ça prouve que le français, c’est positif », insiste-t-il.

Du travail en coulisse

Les francophones utiliseraient d’autres moyens que la politique pour faire valoir leurs droits selon M. Boily. Ils utiliseront par exemple les tribunaux pour faire respecter leurs droits constitutionnels, ou feront du travail en coulisse. « Les francophones de l’Ouest canadien vont surtout s’activer après une élection. Ils vont par exemple identifier qui pourraient être leurs alliés dans la députation élue et tenteront de travailler en collaboration avec eux », indique-t-il.

Des propos que confirme le directeur de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique. Selon lui, les francophones sont conscients de leurs droits et des outils mis à leur disposition. « Les francophones vont parfois préférer utiliser des processus plus courts pour faire changer les choses comme les cours de justice qu’ils trouvent plus porteuses et plus utiles qu’une participation politique dans laquelle le processus de changement serait de trop longue haleine», croit-il.

Tous s’entendent pour affirmer que de nombreux individus s’impliquent et défendent très activement les intérêts des francophones de la province sur les différents paliers gouvernementaux, mais que l’implication des francophones est souvent plus personnelle que communautaire.