Le spectacle de la politique

Le premier ministre en spectacle. | Photo de Stephen Harper

Le premier ministre en spectacle. | Photo de Stephen Harper

La politique est devenue un produit de consommation depuis au moins l’arrivée de la télévision. Mais elle a toujours été un spectacle et il n’y pas plus grand spectacle politique qu’une campagne électorale, à part bien sûr les révolutions. Celle qui nous intéresse aujourd’hui, la plus longue dans l’histoire du Canada, en est une qui n’essaie même plus de nier la mise en scène de ce spectacle. Chaque parti a son directeur, ses stratèges et tacticiens, ses publicistes, ses consultants et même parfois son coiffeur, pour l’apparence, et j’en passe. Et à voir les chefs de parti à la télé, ils suivent leur script à la lettre.

Les thèses de Guy Debord dans son livre La Société du Spectacle publié en 1967, qui touchaient avant tout les produits de consommation et leur relation à leurs propriétaires (la publicité), englobent maintenant tous les domaines de la société. Non seulement sommes-nous devenus un spectacle pour nous-mêmes (selfies) mais aussi pour les autres à travers les réseaux sociaux.

La nouveauté est que le spectacle politique est maintenant distribué à travers une multitude de médias et réseaux sociaux. Les spectateurs ne sont plus seulement spectateurs mais peuvent participer directement ou indirectement avec les acteurs et les spectateurs. Un aspect positif, diront plusieurs, mais trop souvent les discussions et commentaires en ligne touchent davantage les rouages du spectacle et ses acteurs que les messages et les politiques des chefs de parti. Le succès du spectacle dépend avant tout de la performance des acteurs principaux. Plus dans la forme que dans le contenu même si c’est parfois difficile de distinguer l’un de l’autre.

Comme dans tout spectacle, il y a ceux qui n’aiment pas : c’est ennuyant, ils ne disent rien qui les touchent, leurs monologues sont toujours plus ou moins les mêmes, souvent des phrases toutes faites sans vie. D’autres ne regardent tout simplement pas. Ils se sentent « absents ou aliénés »,
on ne parle jamais d’eux ni de leurs problèmes. Enfin il y a les promesses qu’on ne prend plus au sérieux.

Pourtant la politique c’est important, très important. Mon père me disait souvent: « P’tit gars, si tu t’occupes pas de la politique, la politique va s’occuper de toi et t’aimeras probablement pas ça. » Aussi une majorité de spectateurs continuent d’aller voter. A-t-on vraiment le choix ? Mais pour qui ou quoi voter ? Pour ses intérêts personnels ou pour le bien-être de « la cité et ses citoyens » ? Et c’est là le véritable problème. Et enfin, pourquoi cette élection semble-t-elle si importante ?

Un pays n’est pas seulement identifié par ce qu’il est mais par ce qu’il aspire à être collectivement. Où est la vision de l’avenir et où sont allées les politiques centrées sur le futur de la collectivité canadienne et non seulement sur le bien-être de la classe moyenne. Par exemple le sujet de la pauvreté a disparu alors qu’il y a plus de 4 millions de Canadiens qui sont pauvres et plus de 250 000 itinérants/sans-abri. Les familles les plus pauvres sont souvent les familles monoparentales qui ont besoin de garderies à un prix abordable. Le Canada a un besoin urgent d’un programme national de garderies et d’un plan à long terme pour les personnes âgées. Quant à l’accès à l’éducation post-secondaire et les dettes des étudiants, les jeunes ne vont pas voter, alors n‘en parlons pas. A travers leurs micro/macro sondages les partis s’intéressent avant tout à ceux qui pourraient voter pour eux. Et leurs programmes et politiques visent surtout ces mêmes votants. Essayer de persuader l’électorat et non seulement les électeurs qui semblent les plus susceptibles de voter pour eux est une chose du passé.

Le Canada est devenu ce qu’il était grâce à une certaine générosité sociale. Nos grands-parents et nos parents ont cru que la meilleure façon de bâtir un futur pour leurs enfants était de le faire ensemble. Et c’est pour cette raison que les Canadiens ont appuyé le système d’assurance-chômage, assurance-maladie, pensions de la sécurité de la vieillesse, etc. C’est pour cette raison que nous ne sommes pas Américains. Malgré l’état de notre démocratie et la médiocrité du spectacle, espérons que les Canadiens, une fois aux urnes, ne penseront pas seulement à leur bien-être personnel mais aussi à celui de ceux qui ont le plus besoin d’un coup de pouce pour développer leur potentiel et celui de leurs enfants, et qu’il penseront aussi au Canada et aux Canadiens dans leur ensemble.

Pierre Grenier
Enseignant pendant 20 ans en Sciences humaines à l’école Vancouver Technical Secondary. Diplomé en Sciences Politiques de l’Université Laval à Québec. A Vancouver depuis 1980.