La science progresse, les sceptiques aussi

La science est-elle toujours garante de vérité ? Certaines personnes contredisent ce que les chercheurs affirment, au point de ne plus les prendre au sérieux. Jamie K. Scott est professeure de biologie moléculaire et de biochimie à l’Université Simon-Fraser. Elle nous donne son point de vue sur ce fossé qui se creuse entre les scientifiques et l’opinion publique.

La Source : Pensez-vous que le discours scientifique est bien perçu par la population ?

Jamie K. Scott : Cela dépend du sujet. Certains suscitent un vif intérêt, ce qui suggère un large consensus. On l’a vu récemment avec la découverte d’une nouvelle espèce du genre humain en Afrique du Sud (des ossements fossilisés mis au jour dans une grotte permettent aux paléo-anthropologues d’en savoir plus sur l’Homo naledi, un genre jusqu’alors totalement inconnu, ndlr). Tout le monde se montre excité. En revanche, dès qu’on aborde des sujets reliés à l’industrie pharmaceutique ou aux changements climatiques par exemple, le scepticisme est de mise.

Jamie K. Scott, professeure de biologie moléculaire et de biochimie à SFU.

Jamie K. Scott, professeure de biologie moléculaire et de biochimie à SFU. | Photo DR

L. S. : Comment expliquez-vous ce scepticisme ?

J. K. S. : Les médias ont leur part de responsabilité, mais pas forcément dans le sens que l’on croit. Le problème vient du fait de leur soi-disant objectivité. Entendons-nous bien, je ne suis pas contre la neutralité des médias. Elle est essentielle, je le conçois. Mais en matière d’avancées scientifiques, nous avons besoin de médias qui prennent position. Prenons le cas du changement climatique. Accorder autant d’importance à ceux qui s’en alarment qu’à ceux qui le réfutent, alors que nous savons qu’il est avéré, est une perte de temps. Pis, cela entretient le doute dans l’esprit des gens.

L. S. : Internet amplifie-t-il ou contrebalance-t-il ce scepticisme ?

J. K. S. : Internet et les réseaux sociaux sont de formidables outils pour communiquer. Les informations qui y sont véhiculées peuvent malheureusement être aussi vraies que fausses. Il est encore plus difficile de faire la part des choses. Je rejoins sur ce point Rémi Quirion (lire ci-contre) quand il affirme qu’il est toujours possible d’y trouver ce que l’on croit être vérité. Cela peut nous conforter dans nos erreurs.

L. S. : Même devant l’irréfutable, certains campent sur leurs positions…

J. K. S. : C’est vrai. En fin de compte, on ne peut aller contre la volonté des personnes. J’ai face à moi, pendant mes cours, des étudiants qui ne croient pas à la théorie de l’évolution de Darwin. Et ce, pour des raisons religieuses principalement. Selon eux, Dieu est le Grand Créateur à l’origine de la vie. Des études portant sur notre système immunitaire montrent que nous avons des molécules communes aux mouches et à certaines plantes. Nous partageons des séquences d’ADN avec des animaux. Il arrive un moment où l’on ne peut nier l’évidence. Et pourtant, on ne voit que ce qu’on veut bien voir.

L. S. : Vous êtes chercheuse. En tant que tel, vous êtes confrontée à cette question de la médiatisation de votre travail. Comment faites-vous ?

J. K. S. : Je ne mets pas mon travail en lumière. Mes recherches sur la mise au point d’un vaccin contre le sida sont techniques et donc trop compliquées à expliquer. Tout au moins pour le grand public. Et puis, très franchement, tant que nous ne saurons pas comment éradiquer cette maladie, le sujet n’intéressera pas l’opinion. Nous avons fait de probantes avancées dans le domaine. Nous savons maintenant anticiper la mutation du virus, ce qui est un grand pas. Cela soulève un autre point : le maniement de la communication par les scientifiques. Au final, le discours scientifique ne peut être bien perçu par la population que s’il est clairement expliqué à la base.

Un forum cet automne au Québec

La professeure de l’Université Simon-Fraser n’est pas la seule à penser qu’il faut démocratiser la science. Rémi Quirion, le scientifique en chef du Québec, s’inquiète de la progression du scepticisme qu’elle inspire.

Il pointe Internet et les médias, mais aussi les chercheurs et les laborantins qui, d’après lui, ne sauraient pas tous comment bien véhiculer leur message. Un comble à notre époque où les moyens de communication n’ont jamais été aussi développés.

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Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec.

Ne pas prendre le sujet au sérieux conduit parfois à des problèmes de santé publique. Ainsi souligne-t-il que la défiance manifestée par une partie de la population envers les vaccins a entraîné la réapparition de la rougeole. Une maladie qui reste mortelle, comme il le rappelle dans les colonnes du quotidien québécois Le Devoir.

Il milite pour la mise en place d’un site Internet de référence où les informations scientifiques seraient diffusées dans un langage accessible, ou d’un réseau d’experts pour les médias. Il organisera un forum cet automne au Québec réunissant des journalistes, des experts en communication et des scientifiques.

Le rendez-vous se veut public. Peut-être une démarche similaire verra-t-elle le jour en Colombie-Britannique…