La peur a-t-elle gagné ? 

Femme voilée. | Photo par Jean-Louis Potier

Femme voilée. | Photo par Jean-Louis Potier

Vous connaissez déjà les résultats de l’élection mais comment expliquer ce résultat ?

On ne peut se protéger de toute éventualité même si on le veut. Le monde a toujours été une place dangereuse. Et d’en faire une stratégie politique ne mérite pas qu’on récompense ceux qui l’utilisent. De la peur des réfugiés, du terrorisme et de la hausse de taxes en passant par celle du déficit et des dépenses de l’État, pour M. Harper tout a semblé être utile pour faire peur. Mais une majorité de Canadiens ont-ils succombé à la peur et donné le plus de sièges au parti conservateur ? Je ne crois pas. Et voilà les raisons.

C’est comme si M. Harper s’était dit que si les gens ont peur, ils vont chercher la stabilité, vouloir être rassurés qu’il est l’homme qui va le faire. Il va les protéger, être le protecteur de l’économie, il les défendra contre le terrorisme, contre les valeurs barbares et les malades mentaux qui ont commis des actes criminels. Mais la stabilité dont il parle n’est que stagnation. La politique, c’est de l’action, non pas seulement se maintenir et tourner sur place en se barricadant derrière des épouvantails et des croquemitaines idéologiques.

On ne peut tout contrôler. L’histoire est semée d’obstacles de toutes sortes et le défi c’est justement de ne pas avoir peur et de ne pas faire peur. La vie est un mouvement; il faut l’enfourcher tout en acceptant la vulnérabilité de nos décisions. La politique a toujours donné du sens à la vie, que ce soit bon ou mauvais. La politique peut nous faire rêver de jours meilleurs comme elle peut nous donner des cauchemars. À nous de choisir.

Une autre stratégie liée à la peur c’est de cibler les partis et chefs d’opposition en leur assignant des peurs. Ils vont hausser vos taxes (péché mortel), dépenser votre argent d’une façon irrationnelle, laisser entrer les terroristes au Canada, défendre des valeurs contraires aux valeurs canadiennes. L’auréole de protection rayonne de par la vertu sans faille de M. Harper. Récemment notre Premier ministre déclarait: « Je suis une personne de devoir, avec une forte éthique de travail et de discipline…. tout ce que je fais est important. Combien de gens peuvent dire cela de leur travail ? Ça n’existe presque dans aucun autre emploi ». Vraiment ! Comme vous pouvez voir, M. Harper a une très haute estime de lui-même souvent perçue avec raison comme une arrogance.

Pensez au ton de sa voix, la lente et souvent pompeuse déclamation de ses discours et propos. Une sorte de voix narrative rassurante semblable à celle entendue dans les films qu’on appelle au cinéma God’s voice. La voix de Dieu. Celle qui vient de nulle part et de partout ! C’est vraiment énervant. Il faut se rappeler comment la voix de Brian Mulroney, une fois au pouvoir, est devenue grave, sérieuse et aussi ennuyante. Une preuve que la politique continue toujours d’être un spectacle.

L’affaire du Niqab n’est qu’une autre peur déguisée en méfiance. Le parti de M. Harper a construit sa campagne sur la peur et la méfiance ethnique et religieuse et la division. De quoi attirer les plus craintifs d’entre nous. Il semble aussi que cette stratégie n’affecte en rien le vote pro-conservateur des Canadiens nés à l’étranger (à part le vote musulman). Cette stratégie est considérée par plusieurs commentateurs comme un pari calculé qui devrait leur permettre de faire des gains dans les communautés hindoue, sikh, bouddhiste et chrétienne. C’est un jeu dangereux qui n’a pas sa place au Canada mais que le parti conservateur vient de ressusciter. L’utilisation sans scrupule de l’intolérance et de la méfiance ne peut que contribuer à la division et affaiblir l’unité du Canada.

Cette campagne nous a permis de lever le voile sur le vrai visage du parti conservateur et de son chef. La vraie nature de la droite canadienne représentée par leurs positions quasi racistes et rétrogrades est maintenant connue de tous. M. Harper se dit le seul véritable défenseur des valeurs canadiennes alors que durant la campagne ses propos ont démontré tout le contraire et qu’ils vont à l’encontre de la tradition politique de tolérance et de respect dans notre histoire depuis les années 50.

Le résultat du vote du 19 octobre devrait nous permettre d’entrevoir un futur qui ne soit pas que peur, méfiance et intolérance. Il est important que la politique au Canada continue d’être un outil d’unité et non de division. Je crois fermement que les Canadiens ont voté en majorité contre la politique des conservateurs et qu’ils n’ont pas peur de l’inconnu, ce futur rempli de défis collectifs, et que ces mêmes citoyens seront en grande majorité prêts à aller à la rencontre de l’Autre pour le bien-être du Canada et des générations futures.


Pierre Grenier

Enseignant pendant 20 ans en Sciences humaines à l’école Vancouver Technical Secondary. Diplôme en Sciences politiques de l’Université Laval à Québec. A Vancouver depuis 1980.