Parlez-vous chinook ?

Chinook, ça vous dit quelque chose ? Peut-être pensez-vous au titre du premier tome de Buddy Longway ? À raison, car il s’agit d’un personnage clé de cette série de vingt bandes dessinées nées sous le crayon de l’auteur suisse Derib dans les années 1970. Chinook y est une jeune Indienne, si belle que le trappeur Buddy Longway tombe sous son charme. Pourtant, avant d’être le prénom de cette charmante héroïne, le chinook, ou plus exactement chinook wawa, désigne l’une des premières langues parlées dans la région de Vancouver.

Sam Sullivan, ancien maire de Vancouver. | Photo par Mark Kinskofer

Sam Sullivan, ancien maire de Vancouver. | Photo par Mark Kinskofer

Ce dialecte, « pidgin » ou créole est né au début du XVIIIe siècle, a perduré tout au long du XIXe siècle, et pourtant semble aujourd’hui disparu… Pour clarifier les choses, un pidgin est une langue véhiculaire simplifiée, créée à partir du vocabulaire de langues plus anciennes. Dans le cas du chinook wawa, on parle de la langue de la Première Nation locale, colorée de mots d’anglais, mais également de français. Sam Sullivan, grand défenseur du chinook wawa et ancien maire de Vancouver, rappelle que « la langue française était alors la plus importante langue non-autochtone en Colombie-­Britannique ». Avant de préciser : « Au commencement, la langue de travail était le français, auquel le chinook wawa a emprunté beaucoup de mots ». Les origines et les fonctions de cette langue première permettent donc de mieux comprendre l’histoire et la culture de la Colombie-Britannique.

Imaginez-vous : on trouvait des dictionnaires de chinook dès les années 1850, signe de l’importance de son usage! Cette langue était alors utilisée comme outil d’échange par les commerçants de fourrure, les colons anglais et français, les missionnaires, et même le gouvernement officiel. Les anglophones la désignent d’ailleurs comme the old trade language (la vieille langue du commerce), ce qui prouve à quel point le chinook wawa était lié au commerce. À son apogée, vers 1875, le chinook était parlé par 100 000 personnes ! Largement utilisé à Vancouver, le chinook illustrait le mélange des cultures et les origines diverses de ses habitants. Cette langue « première » sera toutefois presque complètement oubliée autour des années 1930, largement supplantée par l’anglais.

Un texte de Chinook wawa qui date de 1890.

Un texte de Chinook wawa qui date de 1890.

Le chinook est mort, vive le chinook !

Si le chinook wawa est aujourd’hui délaissé au quotidien, plusieurs passionnés travaillent pour le faire revivre et lui redonner ses lettres de noblesse en Colombie-Britannique. Ainsi, le 27 juin dernier, pour la première fois, Vancouver a fêté la journée officielle du chinook. À l’initiative de Jay Powell, professeur retraité de l’Université de Colombie-Britannique, et de Sam Sullivan, ancien maire de Vancouver, cette journée a permis de redécouvrir, au-delà de la langue, la culture Chinook dans son ensemble : nourriture, art, architecture, musique, médecine traditionnelle, sculpture sur bois, etc.

Jay Powell, qui était le professeur invité à cette occasion, étudie le chinook depuis 55 ans. Il est aujourd’hui « en contact avec les conseillers et les professeurs d’écoles élémentaires et les lycées pour les aider à inclure le chinook wawa dans leurs leçons ». Le chinook réserve d’ailleurs encore des surprises pour qui s’y intéresse : Sam Sullivan révèle « qu’un professeur a récemment découvert un document ancien écrit par le prêtre Louis Napoléon St Onge ». Le tandem Powell-Sullivan participe ainsi, comme le feraient des mécènes du patrimoine, à la préservation de la langue, en la pratiquant et en la faisant connaître.

Le Chinook, simple comme « Klahowya »

Avis à tous ceux qui ont encore en mémoire de longues heures passées à apprendre des déclinaisons latines ou à essayer de comprendre les concordances de temps germaniques : le chinook est fait pour vous! Nulle grammaire, nulle conjugaison, nulle construction de phrase alambiquée. Et vous entendrez encore moins parler de déclinaisons! Les mots s’alignent les uns à la suite des autres sans liaison, dans un ordre simple sujet-verbe-complément classique. Un autre avantage : le chinook ne possède que 500 mots d’usage courant.

De plus, en habitant à Vancouver, vous partez avec un atout majeur puisque de nombreux mots hérités du chinook sont utilisés de façon quotidienne, notamment dans les noms de lieux. Vous connaissez peut être des high mucky-mucks, soit des gens riches en chinook, le salt chuck ou l’eau salée, soit l’océan, le Chum salmon ou chien saumon appelés ainsi puisqu’ils portent des marques, ou encore le Skookum duck ou seulement skookum qui signifie le pouvoir de l’eau.

Si vous avez le goût de pratiquer cette langue première, riche mais élémentaire, contactez la Global Civic Policy Society : un petit courriel à chinookwawa@globalcivic.org, et, dixit Sam Sullivan, vous pourriez vous exprimer aisément en l’espace d’une fin de semaine !