Un antidote contre les stéréotypes

L’expérience la plus révélatrice de la pluralité culturelle de Vancouver a été pour moi le trajet quotidien dans le bus 49, reliant South Vancouver à UBC. D’abord amusée par la cohabitation à l’angle de la rue Knight d’un KFC, d’un restaurant chinois et d’un traiteur indien, j’ai ensuite eu l’idée de compter les églises de différentes confessions que je croisais sur mon chemin. Conclusion : en matière de croyances et de nourriture, les Vancouvérois ont l’embarras du choix. Une église baptiste traduit ses horaires en espagnol, une église luthérienne annonce une prochaine messe en mandarin, une autre en allemand. Sur le trajet, on croise également un temple bouddhiste, une église presbytérienne coréenne, et une « Liberty house of worship » qui se présente comme une église multiculturelle. Dans le bus, diverses couleurs de peau, différentes formes d’yeux, les foulards côtoient les turbans. On se sent citoyens du monde dans cette pluralité, en faisant tous le même aller-retour quotidien, partageant l’engourdissement du matin ou la lassitude du soir.

Ce tableau coloré donne à la ville un charme certain. J’ai eu la chance, par mon expérience spécifique de jeune voyageuse, vivant dans une maison partagée avec des colocataires venant de différents pays et travaillant avec des étudiants de divers horizons, de passer de la cohabitation culturelle à l’échange culturel. Et c’est dans la rencontre et la discussion que j’ai tenté de saisir la diversité de la ville.

En arrivant ici, mon premier réflexe a été de demander à mes collègues d’où ils venaient, pensant avoir affaire à des travailleurs de nationalités étrangères, constat basé sur leur apparence physique. Je me suis promis de ne plus avoir ce type d’a-priori quand j’ai eu pour réponse « Je viens de Vancouver ». Les cartes sont redistribuées et les repères ne sont plus les mêmes pour une Européenne. Ici on rencontre par exemple des Canadiens anglophones d’origine asiatique, des Asiatiques devenus canadiens dont la langue maternelle est le mandarin, des étudiants asiatiques apprenant l’anglais, des Québécois anglophones, ou encore des voyageurs australiens d’origine sud-africaine dont l’anglais n’est que la langue seconde.

Cette pluralité d’origines complexes apparaît comme un bon antidote contre les stéréotypes : elle vient nous rappeler qu’il est toujours réducteur de considérer la personne que l’on a en face de soi à travers une seule dimension de son identité, ici la dimension culturelle. C’est en quelque sorte la tolérance que l’on apprend en vivant dans cette ville, une liberté laissée à l’autre de se définir lui-même, sans a-priori sur ce qu’il devrait être ou ce qu’il est. Je n’ai pas rencontré un Chinois, une Taïwanaise, des Coréens, un Mexicain et des Slovaques mais j’ai rencontré Jordan, Helen, Kim, Heyjin, Michael, Kopano, Kristina qui ont chacun une histoire unique avec le Canada et avec Vancouver.

L'autobus 49 au terminus de UBC. | Photo par Stephen Rees

L’autobus 49 au terminus de UBC. | Photo par Stephen Rees

Et si chacun a une histoire unique avec la ville, il semble qu’être Vancouvérois veuille dire quelque chose et que les habitants, aussi différents soient-ils, aient adopté certaines habitudes communes. Mon regard étranger s’est étonné du goût prononcé pour le style vestimentaire sportswear le jour contrastant avec une hyper-sophistication des tenues la nuit, ou encore de l’institution du piercing. J’ai été désarçonnée par le large choix d’options à ajouter à son café qui rendent certaines commandes difficiles à prononcer sans reprendre son souffle : « un café latte décaféiné lait d’amande avec sirop de vanille non sucré et mousse supplémentaire, très chaud s’il vous plaît ». Outre ces constats amusés, une courtoisie et une décontraction diffuses rendent les interactions agréables. Le « merci » crié au chauffeur depuis le fond du bus, la facilité avec laquelle les discussions avec des inconnus peuvent être entamées, le réflexe immédiat d’aider quelqu’un qui se retrouve en difficulté, le calme conservé dans des situations de transports en commun où j’ai plutôt été habituée à râler et pousser, sont autant d’éléments qui vous font aimer cette ville, où chacun semble pouvoir se sentir chez soi.