La peur

Je ne céderai pas à la peur. Plus vite dit que fait. Après les évènements qui ont secoué Paris, nous essayons encore de comprendre ce qui s’est passé ce vendredi 13 novembre 2015. Une date de plus à commémorer. Une nouvelle date qui s’inscrit à la triste histoire du patrimoine humanitaire.

Une famille de réfugiés syriens.

Une famille de réfugiés syriens. | Photo par Patrick Marioné

Comme tout le monde, j’ai été atterré, choqué, bouleversé par le nombre de vies perdues suite à ces attentats commis par des barbares qui se réclament de l’Islam alors que la majorité des musulmans ne se reconnaissent pas dans ces actions meurtrières. La communauté musulmane, comme en attestent les articles d’opinion parus dans les journaux ou les interviews diffusés à la radio ou à la télé, dénonce avec vigueur une interprétation éhontée et erronée de leur foi.

Au-delà de la rage, éprouvée immédiatement après les attentats sanglants perpétrés il y a une dizaine de jours, c’est un sentiment de peur qui depuis a pris place. Peur tout à fait légitime ne cesse-t-on de me répéter. Car, contrairement à ces fanatiques de la terreur insensée, je tiens à la vie. L’au-delà je n’y crois pas. Le paradis encore moins. Excusez la caricature ou le cliché, sachez que les vierges, qu’elles aient pour nom Marie, Jeanne, Bernadette, ne me tentent pas du tout. Je ne tiens pas à les rejoindre. Mon bonheur ne se traduit pas en ces termes. Il est ici- bas. Donc, comme je tiens à la vie, j’ai peur. Cette peur toutefois n’est pas seulement physique. Elle est aussi et surtout mentale. Elle se transcende en inquiétude.

J’ai en effet peur des mesures que pourraient prendre, au nom de la lutte anti-terroriste, les gouvernements qui, désireux de rassurer la population, n’auraient aucun scrupule à porter atteinte aux libertés individuelles si on les laissait faire. Il faut se méfier. Ce sont dans des moments d’incertitude, comme ceux par lesquels nous passons, que des abus irréparables sont commis. J’ai peur que nous ne soyons pas assez sur nos gardes. Au-delà de la menace jihadiste commanditée par Daech qui s’est, à une plus petite échelle, manifestée chez nous au Canada, une vigilance de tout instant, et à tous les niveaux, s’impose.

De même, toujours au nom de la sécurité (ou de l’insécurité), j’ai peur de voir le principe d’égalité disparaître. Que des citoyens, de par leurs origines, soient considérés moins égaux que d’autres. J’ai peur de la méfiance qui, depuis une quinzaine d’années, s’est installée, à notre insu, dans les esprits. Mais que peut-on faire quand on a le sentiment qu’il n’y a rien à faire? Nous sommes, c‘est du moins mon impression, qu’on l’admette ou non, impuissants face à des forces aussi diaboliques que celles de Daech. Nous sommes en guerre, croit-on comprendre. Si nous n’y sommes pas déjà, nous y serons bientôt. La guerre, aux yeux de certains experts et de philosophes pas toujours très sages, semble être inévitable. Croit-on vraiment que la guerre soit le seul moyen de régler ce conflit qui perdure et dont on a peine à comprendre la situation et les enjeux? Est-on convaincu que la guerre, avec la certitude de faire de nombreuses innocentes victimes, soit le seul recours pour venir à bout du terrorisme djihadiste ou tout au moins en réduire la menace ?

J’ai peur que les faucons ainsi que les vrais ne demandent pas mieux que de partir en guerre, histoire de satisfaire leurs bas instincts. Je ne crois pas, par contre, à l’ultime forme de pacifisme qui consiste à tendre l’autre joue lorsqu’un individu mal intentionné vous frappe. Alors, que faire? Entre les deux il existe, je n’en doute pas, une marge que nos dirigeants, nos diplomates, doivent combler. La loi du talion, faut-il le rappeler, ne résout pas les problèmes. Elle ne fait que les accentuer.

J’ai peur, par ailleurs, qu’à la suite de ces terribles évènements, nous perdions la notion de fraternité et de solidarité. Les amalgames sont tentants. Ils sont d’autant plus dangereux lorsqu’ils dérivent d’une haine non fondée. Les islamophobes n’hésitent pas à prendre des raccourcis. Aucune rigueur face au syllogisme : les terroristes sont musulmans, tu es musulman, tu es par conséquent terroriste. CQFD. La question est réglée. Ayez pitié pour ces simples esprits, ils ne savent pas ce qu’ils pensent.

Le Canada n’a pas été épargné par cette dérive : incendie de mosquées en Ontario, personnes harcelées et attaquées ailleurs, après les attentats qui ont endeuillé Paris. Les coupables de ces actes, moins cruels mais plus bêtes, sont à mettre dans le même panier que les barbares de Daech, ces idéologues du néant. Et que dire maintenant du sort réservé aux réfugiés syriens? J’ai bien peur qu’ils pâtissent du procès que leur font les forces réactionnaires occidentales. Les milliers de réfugiés, principalement des femmes et des enfants, innocents de tout crime sinon de croire en une vie meilleure, ne peuvent payer pour la présence possible de quelques islamistes dangereux parmi eux. Ces barbares, de toute façon, trouveraient les moyens de s’infiltrer autrement.

Finalement, autant le répéter, oui, Daech me fait peur. D’autres actions terroristes sont à craindre. J’espère, toutefois, à l’image des Parisiens qui ont montré l’exemple, ne jamais céder à la peur. L’insoumission fait partie de la solution.

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