Homme cherche identité

À Vancouver, l’organisme Manology met « l’homme face à l’homme » et souhaite créer une « communauté de masculinité positive ». Mais d’où vient ce besoin ? Quelques mois après la parution du livre de l’auteur et dramaturge Steve Gagnon, Je serai un territoire fier et tu y déposeras tes meubles, qui interpelle 50 jeunes Québécois sur la question de la virilité aujourd’hui, plongée au cœur d’un sujet férocement actuel : qu’est-ce qui fait d’un homme, un homme ?

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Photo par Alice Laverty

Qu’il est dur d’être un homme en ce début de 21e siècle ! Ce dernier semble vivre une éternelle période de transition, comme un papillon qui peine à se dégager de sa chrysalide. L’homme est pris. Fini le personnage fort, héroïque et dominant. Fini le chef de clan, le protecteur, la main nourricière : il se retrouve coincé entre deux interdits, celui d’exprimer une virilité trop affirmée et celui de se montrer trop féminin.

« Vautré » dans une intranquillité que l’on ne saurait nommer, l’homme a aujourd’hui l’occasion de questionner son identité, de se réinventer – et, ironiquement, de parachever un mouvement de libération de la femme qui a besoin de lui pour s’épanouir pleinement.

Virilité : (inutile de) faire le test

Remplissez-vous les critères de la virilité ? Répondre à cette question, c’est admettre l’existence de modèles sociaux qui la valident (ou non). Une approche aussi dogmatique que simpliste qui coupe l’homme de toute revendication à être autre chose. C’est l’idée défendue par Steve Gagnon lorsqu’il affirme que les carcans « nous coupent d’une partie du monde, de notre curiosité, de notre sensibilité, de notre exaltation ».

Les vieilles recettes de la masculinité, dont on nous abreuve toujours, font figure de caricatures bien éloignées de ce qui fait un homme moderne. Les muscles, la performance, la domination, autant de réminiscences auxquelles on se prête volontiers entre amis autour d’un verre. Ce sont toujours les vieux codes qui nous valorisent en société – même si personne n’est dupe.

L’homme n’hésite d’ailleurs pas à évoluer dans des territoires traditionnellement associés au féminin : il s’investit dans le foyer, apprend à exprimer ses émotions, fait preuve de tendresse. Le psychanalyste français Serge Hefez va jusqu’à dire qu’« être viril, c’est assumer sa bisexualité psychique ».

L’homme serait-il « une femme comme les autres », pour reprendre le titre du film de Jean-Jacques Libermann ?

The Fight par Alice Laverty. | Photo par Alice Laverty

The Fight par Alice Laverty. | Photo par Alice Laverty

Non, l’homme ne se féminise pas

Ce n’est pas l’avis de Steve Gagnon. « Il n’y a pas de féminisation de l’homme moderne : il y a émancipation. Nous parlons de masculinité comme s’il y avait des règles universelles et impossibles à contourner pour être un homme, comme si l’être humain n’avait pas plus de complexité et de subtilité qu’un troupeau de bétail ».

De la même manière, la femme ne s’est pas masculinisée : elle a embrassé un système de valeurs injustement réservées aux hommes, parce qu’une valeur, un sentiment, n’a pas de sexe. À l’homme de s’en inspirer et
« d’assumer que sa place peut être ailleurs sans que soit atteinte sa virilité », pour reprendre la formule de Steve Gagnon.

Reste qu’aujourd’hui, tous les esprits ne sont pas ouverts à cette réalité, celle de la liberté d’être un homme dépourvu de l’étiquette d’une archaïque virilité. Valoriser cette liberté d’assumer, c’est en parler.

L’homme face à l’homme

Et en parler, c’est justement l’objet de Manology, une infrastructure éducative et sociale de Vancouver qui vise à « promouvoir les questions propres à l’homme et encourager une communauté de masculinité positive ». La démarche s’inspire du féminisme. Après la prise de conscience du pouvoir des femmes, c’est au tour des hommes de faire reconnaître leur vulnérabilité – et de prendre leurs responsabilités.

Par le biais de différents ateliers, de la discussion à l’expression physique, les hommes peuvent librement assumer ce qu’ils pensent en présence d’autres hommes, en groupe, en société, sans se préoccuper du regard de l’autre, sans a priori. Comme le rappelle Steve Gagnon, « ce n’est pas le concept de modèle qui est en soi le problème. C’est plutôt notre façon de pénaliser ceux qui ne correspondent pas au modèle ».

Des hommes qui ont la force d’assumer qui ils sont, osent sortir du modèle et du confort d’une tranquillité qui n’en est une pour personne. Revendiquer sa liberté d’être. Voilà, peut-être, la vraie nature de la virilité.

Je serai un territoire fier et tu y déposeras tes meubles de Steve Gagnon, aux éditions Atelier 10

Conversations sur la masculinité autochtone
Les hommes autochtones aussi se questionnent sur leur masculinité, avec en héritage des traditions millénaires qui attribuent à l’homme une position sacrée. Découvrez vingt témoignages d’hommes de tous âges en quête d’identité et d’équilibre dans les relations homme-femme.Masculindians de Sam McKegney, aux éditions University of Manitoba Press (2014)
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