L’indécis : « J’ai beau dire ce que je pense, ce que je pense ne veut rien dire. »

D.D. Loustique, Reflet d’une réflexion

Photo par Alessandro Valli, Flickr

Photo par Alessandro Valli, Flickr

Alors que l’heure de tombée pour envoyer mon article au journal approche, je demeure perplexe. Parler de quoi ? Non pas que je fasse face à une pénurie de sujets. Loin de là. L’année a démarré sur des chapeaux de roue et les évènements, qui jusqu’alors ont marqué ce début de 2016, se sont succédé à une allure vertigineuse. Non, c’est l’abondance des choix, au contraire, qui me désole.

Pour amener de l’eau, ou du vin, au moulin de ma confusion, je l’avoue, j’hésite à prendre position par rapport aux multiples affaires qui justement envahissent l’actualité. Dans la plupart des cas, je ne sais plus sur quoi, ou sur qui, me baser pour porter un jugement. Mon opinion a du mal à se forger. J’ai le sentiment d’avoir perdu toutes mes facultés intellectuelles (un bien grand mot pour une petite cervelle comme la mienne). Je n’arrive pas à formuler mon point de vue. J’en perds la (grosse) tête, celle qui n’a rien en commun avec l’illustre Papineau.

Essayez de voir avec moi, de votre côté, où vous en êtes. Pour ce faire, je vous invite à une brève randonnée de quelques faits saillants qui viennent d’animer ce mois de janvier. Ce parcours devrait en principe nous dévoiler quelques ambiguïtés du monde auquel, qu’on le veuille ou non, nous avons à faire.

À tout seigneur, toute horreur. Rien de changé depuis l’an dernier : Daech, Al Qaïda, An Nosra se sont une fois de plus illustrés par des attentats meurtriers à Jakarta, en Indonésie, et à Ouagadougou, au Burkina Faso. Parmi les victimes, des Canadiens. La question de nouveau se pose pour notre gouvernement : comment lutter contre ces barbares ? Bombarder leurs bases en Syrie, quitte à faire des victimes parmi la population civile ? S’engager militairement ou se mettre à l’écart et laisser les pays arabes se débrouiller entre eux sous prétexte qu’il est préférable de laver son linge sale en famille ? Boycotter l’Arabie Saoudite qui subventionne le terrorisme ou, au contraire, pour des raisons économiques, lui fournir l’armement qu’elle réclame afin d’assurer l’emprise de son régime répressif ? S’allier à l’Iran et aux shiites pour combattre les djihadistes sunnites ? Suivre nos alliés de peur d’être exclu de leur giron ? Jouer les Gandhi ou les Bush ? Autant de questions qui se posent auxquelles je ne me sens plus du tout en mesure de répondre. Peut-on ne pas choisir ? Pour l’instant c’est la voie que semble favoriser J.T. et sa bande. Ils ont peut-être raison. J’en doute, mais je redoute mon doute. D’où mon indécision sur ces questions.

À ce stade-ci, je doute de tout. Est-ce que la méfiance envers les réfugiés est justifiée, à la lumières des tristes évènements qui ont entaché la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne en Allemagne ? Est-ce que j’ai toujours envie de me sentir Charlie suite à la publication du dessin de Riss dans Charlie Hebdo ? Dans sa caricature le satiriste, directeur du journal, implique qu’Alan, le petit garçon syrien mort noyé sur une plage méditerranéenne serait sans doute devenu, s’il avait survécu, un des « tripoteurs de fesses » en Allemagne, faisant allusion à la virée des réfugiés à Cologne. Je crois fondamentalement à la liberté d’expression de la presse. Mais après avoir vu ce dessin, je n’ai pu m’empêcher de le trouver horrible et de très mauvais goût. C’est la vocation du journal, me dit-on, de tirer sur tout ce qui bouge. Maintenant je me demande si, effectivement, sous le couvert de la libre expression, on peut tout se permettre ? Peut-on rire de tout ? Doit-on s’imposer ou nous imposer des limites ? Un an après les attentats de Charlie Hebdo, ces questions refont surface. Il y a un an, je n’avais aucun doute. Aujourd’hui, je ne sais plus. Liberté, parfois on abuse trop de toi.

D’un côté plus frivole, je constate encore en ce début d’année la poursuite de la chute du dollar canadien ainsi que celle du prix de l’essence et je ne suis pas certain si je dois m’en réjouir ou au contraire m’en inquiéter. Il en va de même de l’évaluation foncière de ma propriété. Elle a augmenté mais mes taxes municipales aussi. Allez savoir ce qui m’arrange.

Autre sujet d’interrogation : est-ce qu’un acteur de métier peut se permettre de jouer le journaliste d’occasion en allant interviewer un dangereux gangster recherché par toutes les polices des Amériques pour le mousser dans un article du magazine Rolling Stone ? Pourquoi pas ? pensent les fans de Sean Penn. Personnellement, je suis très réfractaire à cette forme de journalisme. J’ai sans doute tort. Mon côté cynique l’emporte encore une fois. Je ne vois derrière cette démarche que l’aspect mercantile et sensationnaliste de ce reportage. Mais je peux me tromper, d’où ma prudence à me prononcer.

Encore une fois, je prends note qu’en toute chose les avis sont partagés. À chacun d’entre nous de les départager, à sa manière, pour se faire une idée; un sacré boulot.

J’ai finalement trouvé le sujet de ma chronique : l’indécision. Je vous l’envoie… peut-être… sans doute… attendez… j’y réfléchis…

Erratum
Lors de notre publication papier de l’édition du 12 janvier 2016, en page 5, nous avions oublié, par inadvertance, d’inclure une partie du titre de la chronique Le castor castré. Le titre original de la chronique était le suivant, Lettre ouverte à 2016 – Chère année, au lieu du titre publié, Lettre ouverte à 2016. Nous présentons nos excuses à notre chroniqueur Robert Zajtmann, l’auteur de l’article.