Rona Ambrose et la redéfinition du conservatisme canadien

Rona Ambrose était dans la région du Grand Vancouver la semaine dernière. Élue chef par intérim du Parti conservateur du Canada en novembre dernier, Madame Ambrose sera à la tête du parti jusqu’à l’élection d’un nouveau chef en mai 2017. Au cours des seize prochains mois, elle aura l’occasion de donner le ton à l’après-Harper.

En effet, durant les semaines suivant la dernière élection, de nombreux conservateurs au pays ont exprimé le souhait que le parti de droite soit plus ouvert, plus rassembleur, moins agressif et surtout qu’il cesse d’alimenter les antagonismes. Déjà le soir de l’élection, Jason Kenney, ministre important sous l’ère Harper s’il en est, lançait une première flèche en affirmant que son parti avait mal expliqué ses politiques et les motifs les sous-tendant.

Rona Ambrose, chef par intérim du Parti conservateur du Canada. | Photo courtesy of the Office of the Prime Minister of the United Kingdom

Rona Ambrose, chef par intérim du Parti conservateur du Canada. | Photo courtesy of the Office of the Prime Minister of the United Kingdom

Il sera ainsi important au cours des prochains mois de garder à l’œil les prises de positions de Rona Ambrose. En particulier, il faudra porter attention autant au fond qu’à la forme, puisque le souhait exprimé par plusieurs est que le Parti conservateur revoie son message mais surtout sa politique de communication.

C’est dans cette optique que j’ai voulu faire un retour sur le passage de Madame Ambrose dans la région du Grand Vancouver. La chef par intérim a pour mandat implicite un changement de ton et, jusqu’à ce jour, le résultat est frappant.

À titre illustratif, voici un extrait, rapporté par le Vancouver Sun, tiré de son discours livré devant les membres du Vancouver Board of Trade, le mercredi 20 janvier dernier.

« We are the party that should be the ones talking about the solution to homelessness, » she said. « We are the ones who should be talking about solutions to poverty. Those are the things, when you really think about the very fundamental principles of conservatism, it’s always been about taking care of those most in need. »

Hein ?

Deux choses me semblent particulièrement importantes à préciser là-dessus. En premier lieu, la chef par intérim affirme que le Parti conservateur est le parti tout indiqué pour s’attaquer aux questions de l’itinérance, le « sans-abrisme » et plus globalement, la pauvreté.

En lisant cet extrait, Jack Layton m’est venu à l’esprit. J’ai cru un moment que l’ancien chef néo-démocrate s’était réincarné en chef par intérim du Parti conservateur. Je me suis aussi dit que le Vancouver Sun avait sûrement fait une erreur, que le discours en question avait été livré par Justin Trudeau et non par Madame Ambrose.

À ma connaissance, depuis sa création en 2003, le Parti conservateur du Canada n’a pas accordé la priorité à la lutte contre la pauvreté. Les conservateurs ont offert du financement à des organismes à l’œuvre dans le domaine, mais il y a un écart important entre un énoncé de politique et l’affirmation que la droite canadienne est la force politique tout indiquée pour s’attaquer à la pauvreté.

En deuxième lieu, j’ai été franchement étonné d’apprendre que la lutte contre la pauvreté est un principe fondamental du conservatisme.

Les spécialistes des idées politiques évoquent le respect de la tradition, la moralité, la modération et enfin, mais non le moindre, la cohésion sociale comme idées maîtresse du conservatisme. En effet, la pauvreté, et en particulier une préoccupation pour les membres les plus vulnérables de la société, n’a jamais fait partie des « fondements du conservatisme », contrairement à l’affirmation de Madame Ambrose.

En somme, le Parti conservateur du Canada est engagé dans un important processus de repositionnement idéologique. À en croire la chef par intérim, le nouveau conservatisme sera non seulement moins fondé dans l’antagonisme, mais aussi plus focalisé sur les questions sociales et socio-économiques.

 

Rémi Léger est professeur en sciences politiques à Simon Fraser University.